Frédéric Couderc

Frédéric Couderc

Le jour se lève et ce n'est pas le tien

Livre 8'17

Philippe Chauveau : Dans votre précédent titre Frédéric Couderc « Un été blanc et noir », vous nous emmeniez en Afrique du sud. Avec ce nouveau roman « Le jour se lève et ce n'est pas le tien », on va à la fois être à Cuba, à la Havane et puis on va aussi être à New-York. Je vais planter le décor : tout démarre en 2009, Léonard est un médecin obstétricien qui a bien réussi sa vie, il vit à New-York avec sa femme Alice. Leurs enfants ont grandi, ont quitté la maison, ils forment un couple uni même si il y a une petite routine qui se fait jour et puis Dora, Dora Parker, la mère de Léonard, vient à mourir. Elle demande à être enterrée dans un cimetière éloigné du Bronx sans que Léonard sache pourquoi ce cimetière là précisément. Et il va se dire : « c'est peut-être pour moi le moment de chercher à savoir d'où je viens puisqu'on ne m'a jamais dit qui était mon père ». Comment naît cette histoire ? Pourquoi avoir choisi d'emmener à la fois votre lecteur à New-York en 2009 et puis on le verra au fil des pages à La Havane à Cuba en 1959 ?

Frédéric Couderc : Je tenais à cette idée de couple qui va bien. On est souvent au fait dans les romans sur la rupture ou le coup de foudre. D'un coup s'intéresser à un couple qui dure, j'utilise cette formule, ça me plaisait. Pour Alice et Léonard, c'est une nouvelle étape de leur vie qui va arriver. C'est-à-dire que quand les enfants ont un peu plus de vingt ans, il y a presque quelque chose de... Pas d'adolescent mais en tout cas il y a un retour vers une jeunesse, enfin une possibilité de vivre différemment. Et puis se produit deux traumatismes. Et ce double traumatisme renvoie au fait à une découverte que j'ai fait à La Havane, alors là je quitte un peu la chronologie du roman. Figurez-vous que chaque 28 octobre, bien des années plus tard, on jette des fleurs à la mer en hommage à un homme qui s'appelle Camilo Cienfuegos, qui a disparu mystérieusement. Là je vais tomber sur pratiquement une rockstar, un homme disparu à 27 ans, beau comme un dieu, d'un charme absolument incroyable, révolutionnaire, barbudos. Et ma première réaction a été de me dire : « mais on nous a menti depuis tant d'années : le vrai romantisme révolutionnaire, c'est pas Che Guevara ».

Philippe Chauveau : Et alors justement, ce personnage. Pourquoi l'histoire officielle l'a-t-elle oublié plus ou moins volontairement ?

Frédéric Couderc : Il est exceptionnel. C'est-à-dire que bon, il grandit dans les quartiers pauvres de La Havane. Il immigre un temps bien qu'il soit très doué en sculpture, pour être un artiste, mais il peut pas. Très rapidement il rejoint Fidel dans la Sierra Maestra et c'est lui par son courage. Quand même, il se pend aux hélicoptères, il fonce sur les avions. Enfin, c'est Zorro ! Le tout avec humour, avec un sens de la fête véritablement incroyable. Tout ça est véridique. Et donc à 27 ans, cet homme se retrouve consul de La Havane pendant quelques jours, qu'il doit administrer. La révolution progresse les premiers mois de la révolution et lui réclame des élections. Lui s'oppose aux premières réformes agraires, il trouve pas ça... « On m'avait pas dit exactement ça ».

Philippe Chauveau : C'est un révolutionnaire sincère.

Frédéric Couderc : C'est un révolutionnaire sincère doublé d'un démocrate surtout. Ce qui s'est passé, c'est qu'évidemment les mois arrivant, Camilo Cienfuegos représentait une grave menace pour les frères Castro et c'est là où le roman commence, c'est-à-dire que, je vais pas le dévoiler mais je me suis dit : « je suis romancier, je suis pas biographe de Camilo Cienfuegos. Imaginons autre chose.. ». Et donc cet homme qui faisait de la politique le jour mais avec beaucoup d'humour et qui la nuit faisait la fête, il est tout à fait possible qu'il ait eu une grande histoire d'amour. Donc je vais lui inventer une grande passion amoureuse et mon Léonard et Alice sa femme, vont se retrouver comme connectés avec cet homme, bien des années plus tard.

Philippe Chauveau : Camilo Cienfuegos va mourir dans un accident d'avion. C'était, on le disait, un révolutionnaire sincère et démocrate, ça c'est l'histoire officielle. Mais alors, vous auriez pu faire un roman qui ne se passait qu'à La Havane dans les années 60 mais vous avez voulu aussi qu'il y ait cette connexion avec le New-York et le monde occidental de 2009. Pourquoi était-ce important de créer ce personnage de Léonard, en plus qui est médecin obstétricien, voilà qui se bat aussi pour la défense de l'avortement... Pourquoi ce personnage ?

Frédéric Couderc : Pour moi c'était très important, en creux, de parler aussi de l'engagement. Dans son périmètre, Léonard fait le bien tout simplement et c'est vrai que je pense, que nous avons de merveilleux bons sentiments, c'est-à-dire qu'aujourd'hui on est plutôt dans une période de pessimisme, de déclinisme... Ce sont plutôt les cyniques qui ont la parole. Moi je crois pas à ça, je crois en l'être humain. Et dans son coin, aujourd'hui, de façon non militante, Léonard prend soin des femmes. Et donc évidemment, c'est une réponse à celui, pour lequel je ne veux pas trop en dire, il serait lié. Et qui lui a décidé pour le coup de changer le monde. Ce qui m'intéresse aussi énormément, il y a un gros ressort dans le livre autour de la mafia. Il faut comprendre que dans l'histoire de la révolution cubaine, c'est pas une révolution bolchévik, il n'y a pas d'ouvriers, il y a des étudiants qui se mettent en grève... En revanche, la population n'en pouvait plus d'une mafia qui depuis 10 ans littéralement, exploitait l'île. Il n'y en avait plus que pour les bordels, les casinos, les jeux... C'était le bordel de l'Amérique. Donc New-York était une espèce de succursale, j'ai trouvé que le lien était au fait très logique. Dans la ville monde, la Babylone moderne, on a des cubains, qui sont nombreux à Union City, j'y suis allé, j'ai discuté avec eux : tout ce que je décris existe. Et bien finalement nous avons des gens plus humanistes, plus tournés vers mes personnages, vers les qualités que je tente de leur mettre.

Philippe Chauveau : L'actualité vous a rattrapé en quelque sorte puisque depuis la sortie du roman, Fidel Castro est décédé. Son frère Raoul, qui était déjà au pouvoir, tient aujourd'hui les rênes du pays. Il n'a pas forcément le plus beau rôle dans votre roman, Raoul Castro. Vous qui connaissez bien maintenant Cuba et son Histoire, quelle vision portez-vous sur ce pays ? Quel peut être l'avenir de Cuba au regard de tout ce que vous nous racontez dans ce roman ?

Frédéric Couderc : Il y a scène chapitre 19 entre Léonard et Fidel, où finalement Fidel, proche de la mort, va se confesser à Léonard en l'absence de son père jésuite qui lui est coincé à Miami. Donc à la relire cette scène, elle est assez étrange puisque évidemment, le livre est sorti presque 2 mois avant sa disparition donc il y a quelque chose d'un peu fantomatique. Mais en tout cas, de ce que j'essaie de faire ressortir de cette scène entre autres, parce qu'à un moment donné, Fidel se détourne de l'image d'un graffeur qui s'appelle Sexto .C'est qu'au fait, aujourd'hui, il y a une vraie et profonde tristesse à être jeune cubain à La Havane. Moi c'est vraiment mon ressenti : pour tous ceux qui ne peuvent pas partir, c'est très difficile et ça l'est d'autant plus qu'arrivent 3-4 millions de touristes par année. Donc on est dans un pays qui est tout de même assez festif, avec des mojito, de la musique etc. Et cette image Buena Vista Social Club-Mojito, elle est complètement... C'est les montagnes russes. C'est-à-dire qu'à un moment, c'est normal, on a envie de partager des choses avec ces gens de La Havane. Et puis on se rend compte d'une douleur terrible à vivre le quotidien, donc le mot qui me paraît le plus juste au fait c'est celui de Léonardo Padura, que j'ai beaucoup lu avant d'écrire mon ouvrage - mon grand écrivain cubain. Et lui il dit, : « Cuba n'est ni l'enfer, ni le paradis, c'est le purgatoire ».

Philippe Chauveau : Avez-vous eu des retours peut-etre de la communauté cubaine de France ? Des retours de cubains qui ont vécu la révolution, qui ont déjà eu l'occasion de lire le livre ? Avez-vous eu des retours de ces gens-là ?

Frédéric Couderc : J'ai eu la grande joie à une émission radio d'entendre un son de Zoé Valdés qui a lu une page de mon texte. Donc pour moi, c'était évidemment une grande récompense, parce qu'il y a 20ans, quand on découvrait tous Zoé Valdes, j'imaginais pas une seconde qu'elle puisse lire ce livre. En même temps j'ai beaucoup de retours évidemment français qui en reviennent, c'est fascinant. Le livre fonctionne aussi en livre de voyage, peut-être pour pas se laisser abuser, pour comprendre une certain nombre de choses.

Philippe Chauveau : En tout cas félicitations pour ce roman, ce livre qui est un vrai coup de cœur. Ca s'appelle « Le jour se lève et ce n'est pas le tien », publié aux éditions Héloïse d'Ormesson. Merci Frédéric Couderc.

Frédéric Couderc : Merci.

Le jour se lève et ce n'est pas le tien Héloïse d'Ormesson
  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Frédéric Couderc a été journaliste-reporter avant de se consacrer entièrement à l'écriture. C'est avec le roman historique qu'il fait ses premières armes. « Prince ébène » et « Que saignent les vignes du roi » dont les intrigues se situaient sous le règne de Louis XIV laissaient entrevoir une belle plume. Mais sans doute Frédéric Couderc avait-il besoin d'être plus en adéquation avec son temps. Déjà avec « Et ils boiront leurs larmes », nous étions dans notre époque contemporaine, pendant la seconde guerre...Le jour se lève et ce n'est pas le tien de Frédéric Couderc - Présentation - Suite
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