Nicolas d'Estienne d'Orves

Nicolas d'Estienne d'Orves

La gloire des maudits

Livre 7'27

Philippe :

Il y avait eu en 2012 Les fidélités successives où vous nous entraîniez au cœur de la 2nd guerre mondiale, cette fois ci avec La gloire des maudits, on continue dans le XXe siècle, en 1955 à Paris, nous allons faire connaissance avec deux femmes. Il y a Sidonie Porel (personnage fictif) qui est une grande romancière, elle est même à la tête de l'académie Goncourt de l'époque. Et il y a cette jeune Gabrielle dont le père a été, paraît-il collabo, il a été exécuté sous ses yeux. Et un jour, elle va recevoir une lettre anonyme lui disant que ce serait peut être bien d'enquêter sur la fameuse Sidonie qui n'est peut être pas celle que l'on croit. Et puisqu'elle a besoin d'argent, elle va accepter cette drôle de mission. Ce sont ces deux femmes que nous allons suivre dans ce roman. Pourquoi avoir eu envie de nous entraîner en 1955 dans cette zone grise qui est toujours une période un peu oubliée de notre histoire nationale ?

Nicolas :

La réponse et dans la question, justement parce que c'est une période que l'on connaît mal. La gloire des maudits commence en 1955, deux ans après la fameuse amnistie de 1953 où on ouvre les prisons, on libère les collaborateurs, une sorte de réconciliation nationale. Mais quelle est la trajectoire de ces gens ? Lesquels ont menti ? Lesquels ont assumé ? Comment est ce qu'ils se sont réinscrits dans la société ? Comment ils ont retrouvé du boulot ? Qui les a couvert ? J'avais envie d'explorer tout ça parce qu'il y a plein de non-dits, et j'avais envie de plonger ça dans le milieu littéraire que je connais quand même bien, parce qu'il n'a pas tant changé que ça. J'avais envie d'écrire sur des femmes car le roman Les fidélités successives est un roman plutôt masculin, et de mettre en scène une romancière, parce que c'est mon métier, et ça me permettait de dire des choses que moi même je ressens sur le travail romanesque. Et ça permettait aussi de mettre en scène le Paris des années 50, assez méconnu, un peu caricaturé, c'est globalement le Paris de René Coty et d'OSS 117 mais c'est beaucoup plus que ça, c'est un Paris encore dans les soubresauts de l'après-guerre, c'est un Paris de transition, et c'est le dernier Paris avant les grandes démolitions des années 60-70, c'est un monde perdu, un Paris encore noir de charbon, c'est encore le Paris d'Eugène Sue au cœur du XXe siècle.

Philippe :

Il y a une vraie jubilation de lecture parce qu'il y a plusieurs lectures possibles, on peut y voir un roman historique, il y a des personnages fictifs, des personnages authentiques, il y a aussi la lecture du feuilleton parce que ça se lit comme un feuilleton avec des rebondissement à chaque chapitre, il y a cette peinture amoureuse du Paris des années 50. Vous aviez envie que le lecteur ait plusieurs grilles, qu'il se fasse plaisir.

Nicolas :

Toujours ! Pour moi la notion de plaisir est essentielle. Je suis un lecteur de Dumas, de Simenon, qui sont des auteurs qui nous disent énormément de choses tout en ayant le respect du récit. Je suis un passionné du récit à épisode. Le soir, on est autour du feu, et le conteur nous raconte : « et alors, il ouvrit la porte... » et, vous aurez la suite demain, et pour moi c'est la plus belle chose du monde, attendre une histoire. Etre fébrile comme les lecteurs d'Alexandre Dumas attendaient la livraison du journal et se jetaient sur les kiosques pour savoir la suite.

Philippe :

À la différence d'Alexandre Dumas, au-delà du plaisir de lecture, il y a aussi la précision historique et on sent que vous avez quand même cherché pour que votre cadre soit certifié, il y a tout ce travail sur le Paris des années 50, sur les collaborateurs et ce qu'ils sont devenus, il y a les personnages authentiques et ceux qui sont fictifs, mais quand il y a cette grande marque de cosmétique luxe, on devine un petit peu de qui vous voulez nous parler. Sidonie Porel, on sent bien qu'elle est inspirée par Colette, Elsa Triolet, Simone de Beauvoir... Il y a quand même eu un plaisir de recherche historique ?

Nicolas :

C'est merveilleux de découvrir des choses ! La curiosité est pour moi le plus beau des défauts. Quand je me plonge dans de la documentation, je prend des notes et je mets tout ça dans un petit carnet, les personnages se créent comme ça, au fur et à mesure. Pour moi la précision est essentielle, le principe c'est de faire du vrai avec du faux et du faux avec du vrai, et on ne sait plus ce qui est réel ou ce qui ne l'est pas mais l'important c'est que ce soit vraisemblable et réaliste et qu'on y croit.

Philippe :

C'est un roman dans lequel les masques tombent pratiquement à chaque page, certains de vos personnages vous ont dérouté, surpris ou vous avez réussi à les canaliser de la première à la dernière page ?

Nicolas :

J'ai tendance à avoir un contrôle assez précis de ce que je fais. Je fonctionne comme une sorte de scénariste, je séquence mon texte très précisément, avec un plan chapitre par chapitre que je suis quasiment à la virgule prêt. Je fais une bible des personnages, j'ai des plans, des chronologies, des arbres généalogiques, pour être sûr de ne pas me perdre. Parfois je m'autorise des petites échappées mais souvent ce sont des échappées que je coupe au montage, parce que je me rends compte que, à priori, comme disait Hitchcock, le film est fini quand le storyboard est fait, ensuite il reste à le faire, et puis toute la dimension littéraire pour avoir une langue à la fois élégante et discrète, précise mais pas trop emphatique, j'aime bien que ça coule. Je veux que le lecteur, petit à petit, oublie qu'il a des mots devant les yeux, et il y a un écran qui se met en place, et il est plongé dans le film, il rentre à l'intérieur du film. Il entend les bruits du Paris de l'époque, il sent l'odeur du chauffage au charbon, il entend le bruit des pages dans les librairies, ce genre de choses...

Philippe :

Il y a eu Les fidélités successives pendant la 2nd Guerre Mondiale, La gloire des maudits qui se passe dans les années 50, ce n'est pas vraiment une suite mais il y a quand même une chronologie, vous avez envie de vous balader sur le XXe siècle, de continuer ?

Nicolas :

Si tout se passe bien, je vais commencer demain les recherches sur les années 60. Je voudrais faire une trilogie sur l'histoire de la France avec à chaque fois comme nœud initial les quatre ans d'occupation. Les années 60, c'est 20ans après les faits mais c'est encore vibrant de cette période, De Gaulle est au pouvoir, je crois qu'il y a encore beaucoup de choses à dire, de personnages à créer, d'histoires à inventer et de rebondissements à trouver.

Philippe :

Qui est Sidonie Porel ? Est-elle la femme que l'on croit ? Vous allez vous régaler, un vrai plaisir de lecture avec ce nouveau roman de Nicolas d'Estienne d'Orves, ça s'appelle La gloire des maudits et c'est chez Albin Michel. Merci beaucoup.

Nicolas :

Merci beaucoup.

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  • Passionné de musique et d’opéra, chroniqueur pour plusieurs titres dont « Le Figaro », Nicolas d’Estienne d’Orves est aussi romancier. Il a publié notamment des romans d’anticipation comme « Les derniers jours de Paris » ou « L’enfant du premier matin ». Amoureux de la capitale, on lui doit aussi un « Dictionnaire de Paris » et « Les petits plaisirs que seul Paris procure ». Paris est d’ailleurs la toile de fond du nouveau roman de Nicolas d’Estienne d’Orves « La gloire des maudits ». Nous voici...Arletty, un coeur libre de Nicolas d'Estienne d'Orves - Présentation - Suite
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