Vincent Ollivier

Vincent Ollivier

Fraternels

Livre 00'08'17"

Philippe Chauveau :

Vous publiez ce nouveau titre chez Flammarion « Fraternels » avec cette couverture très parlante grâce au tableau de Géricault. Nous allons faire connaissance avec Augustin qui dirige un centre équestre en Normandie. Il a plutôt un beau parcours en tant que cavalier, il a été médaillé. Mais il y a une zone d'ombre dans sa vie puisque son frère, son demi-frère Karim, terroriste ayant commis un attentat, a été tué par la police. Le point de départ de ce roman, c’est la relation entre Augustin et Karim, ces deux demi-frères, que tout semble opposer.

Vincent Ollivier :

Ce sont deux personnes qui sont unies par les liens du sang mais qui, à la mort de leur père, ont eu chacun deux routes différentes à prendre. Et on peut dire que celle d'Augustin a été plus fleurie peut-être que celle de Karim, ce qui a abouti à une forme d'acrimonie de la part de Karim qui reproche à son frère, implicitement, parfois explicitement, de les avoir laissé tomber, lui et sa mère. Et cela aboutit à une forme de culpabilité pour Augustin, qui, lui aussi se reproche peut-être de ne pas avoir été assez présent auprès de son frère.

Philippe Chauveau :

Karim va donc être abattu par les forces de police et on va retrouver Augustin en Bulgarie, lorsqu’il décide de s'inscrire à une randonnée équestre dans les forêts bulgares. Il ne va pas y aller pour le simple plaisir de se vider la tête et profiter des paysages. S’il va en Bulgarie c'est parce qu'il veut rencontrer une autre personne qui est aussi membre de cette randonnée. C'est la juge Steiner. Qui est-elle cette femme ?

Vincent Ollivier :

Souvent, ceux qui se reprochent quelque chose ont un mécanisme psychologique qui consiste à tenter de trouver un autre responsable, à trouver un nouveau clou de culpabilité, si je puis dire, pour chasser celui qu'ils enfoncent dans leur propre personne. Et la juge est ce nouveau clou de culpabilité trouvé par Augustin pour échapper à la sensation un peu désespérante qu'il éprouve d'être le seul et unique responsable de ce qui s'est produit.

Philippe Chauveau :

Si je résume, finalement, c'est cette femme juge qui avait envoyé le jeune Karim en prison lorsqu'il n'avait fait que de menus larcins. Et son frère estime que c'est sans doute le point de départ de sa descente aux enfers.

Vincent Ollivier :

Oui, c'est l'explication qu'il trouve au parcours de son frère qu'il voit encore comme l’enfant doux et aimant qu'il était lorsqu'il avait entre 7 et 14 ans. Il pense que la dérive terroriste de son frère s'explique par la volonté de la juge, qui a décidé de le maintenir en prison trop longtemps.

Philippe Chauveau :

Je rappelle, Vincent Ollivier, que vous êtes avocat pénaliste. Pendant plusieurs années, vous avez évolué dans le domaine de l'antiterrorisme et vous avez parfois eu à côtoyer des terroristes qui ont fait l'actualité. Jusqu'où votre expérience professionnelle est-elle présente dans le livre? Et comment, en tant que romancier, avez-vous réussi à mettre une distance entre l'avocat et l'écrivain ?

Vincent Ollivier :

Mon expérience professionnelle est présente dans le livre parce que la trajectoire de Karim est sinon calquée, du moins inspirée par celle de Chérif Kouachi. Je pense que ce n'est pas un livre sur mon expérience d'avocat. C'est un livre sur ce que j'ai pu observer, lorsque j'étais avocat, des réactions des familles et des personnes impliquées ou concernées par des procédures judiciaires pénales.

Philippe Chauveau :

Je tiens à souligner la qualité de votre écriture. Et puis, il y a une autre réussite, ce sont ces deux histoires que vous allez nous raconter en parallèle. Il y a le narrateur qui explique le cheminement, la descente aux enfers de Karim et en même temps celle d'Augustin. Et puis, il y a aussi cette autre histoire qu'Augustin est en train de vivre dans ces forêts bulgares, avec le juge Steiner. Les paysages sont très importants dans l'histoire. La présence des chevaux aussi est très importante, comme si elle apportait justement une sorte d'apaisement par rapport à tout ce qui cogite dans la tête d'Augustin.

Vincent Ollivier :

C'est le principe de l'équitation. On réfléchit toujours mieux à cheval et il a une vertu apaisante. Oui, le cheval est, dans mes livres comme dans ma vie, une forme de vecteur d'apaisement.

Philippe Chauveau :

Vous nous parlez de notre époque contemporaine. Vous nous parlez de notre société avec ses drames et notamment le terrorisme qui gangrène notre société. Mais l'histoire que vous nous racontez est aussi l'histoire éternelle. Il y a des références qui sont presque mythologiques, ne serait-ce que la place du père par rapport à Karim et Augustin. C'est intemporel !

Vincent Ollivier :

Oui, la question du rapport à la paternité et la maternité est une histoire qui traverse les siècles. Je n'aurai pas la prétention de dire que j'ai une quelconque originalité en la traitant. C'est vrai qu'il y a quelque chose de mythologique, et l'endroit où cela se produit est d'ailleurs baigné de mythologie, puisque l'histoire se déroule dans les montagnes des Rhodopes, qui sont connues pour être l'endroit où se trouve la grotte d'Orphée. C'est la grotte dans laquelle Orphée est entrée pour descendre jusqu'aux enfers et aller chercher Eurydice, tenter de la ramener et presque y parvenir, mais elle échoue, vaincue par sa curiosité, par son désir de savoir. Effectivement, il y a quelque chose d'intemporel, c'est que l'ignorance est souvent ce qui garantit la paix et la volonté de savoir, de deviner ou d'aller jusqu'au fond des choses est souvent ce qui amène la violence ou le drame.

Philippe Chauveau :

Vous avez évoqué précédemment votre premier roman « Toscanes » qui était, on l'a dit, dans un esprit plus léger. Le terme est sans doute mal choisi, mais en tout cas, il y avait un humour un peu grinçant. Cette fois-ci, on est vraiment dans une histoire très, très sombre, un roman dramatique. Il y avait dès le départ cette volonté d'avoir un univers beaucoup plus noir.

Vincent Ollivier :

Oui. Pour revenir à ce que mon expérience professionnelle peut avoir à faire avec ce livre, lorsqu'on m'a appris l'attentat de Charlie Hebdo dans lequel Chérif Kouachi était impliqué, évidemment, j'ai pensé aux victimes de Charlie Hebdo, mais j'ai aussi été marqué par le destin de Chérif Kouachi et la dichotomie totale entre la représentation que je pouvais m'en faire et ce qu'il était devenu. Je n'avais absolument aucune idée qu'il puisse devenir cet assassin de sang-froid, pouvant tuer plusieurs personnes en un si bref laps de temps. Naturellement, l'écriture qui m'est venue pour parler de tout ça est une écriture plutôt sombre et soutenue par des conditions météorologiques dans le livre, qui vont également vers la noirceur, vers le côté sombre. Je n'ai pas senti ni la nécessité ni la possibilité d'y mettre plus d'humour, et il y en a fort peu, je le reconnais.

Philippe Chauveau :

Un sujet d'actualité et une intrigue habilement construite, tout cela portée par une très belle écriture. Ce livre est une vraie réussite. C'est un roman sur la famille, sur la justice et, nous le disions, sur la culpabilité. C'est votre actualité, Vincent Ollivier, « Fraternels ». Vous êtes publié aux éditions Flammarion. Merci beaucoup.

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  • Avocat pénaliste de renom, Vincent Ollivier a déjà prouvé un vrai talent pour l’écriture romanesque avec « Toscane » en 2018, un roman au vitriol dénonçant les dérives de l’argent. Si l’humour et le mordant caractérisait ce premier titre, Vincent Ollivier a choisi une écriture résolument plus sombre pour ce nouvel opus, peut-être parce qu’il connait bien ce sujet qui tristement a gangréné notre société, le terrorisme radical. Karim a été abattu par la police après avoir commis un atroce attentat. Dans les...Fraternels de Vincent Ollivier - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Vincent Ollivier, Vous êtes dans l'actualité avec ce titre chez Flammarion, « Fraternels », au pluriel. Il y avait eu précédemment « Toscanes » en 2018. Deux titres déjà à votre actif, mais on vous connaît aussi dans un univers assez éloigné de la littérature, c'est celui du monde de la justice. Vous êtes avocat pénaliste. C'est quoi d'ailleurs un avocat pénaliste ? Quelle est la définition de votre métier?   Vincent Ollivier : C'est un avocat qui s'occupe de droit pénal, c'est à...Fraternels de Vincent Ollivier - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau : Vous publiez ce nouveau titre chez Flammarion « Fraternels » avec cette couverture très parlante grâce au tableau de Géricault. Nous allons faire connaissance avec Augustin qui dirige un centre équestre en Normandie. Il a plutôt un beau parcours en tant que cavalier, il a été médaillé. Mais il y a une zone d'ombre dans sa vie puisque son frère, son demi-frère Karim, terroriste ayant commis un attentat, a été tué par la police. Le point de départ de ce roman, c’est la relation entre Augustin et...Fraternels de Vincent Ollivier - Livre - Suite