Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Une joie féroce

Portrait 00'06'34"

Philippe Chauveau : Bonjour Sorj Chalandon. Votre actualité, « Une joie féroce », votre 9ème titre, aux éditions Grasset. Vous êtes romancier, certes, mais on n'oublie pas la casquette de journaliste. Il y eut « Libération », aujourd'hui « Le Canard enchaîné » entre autres. Vous sentez-vous plus journaliste ou romancier ?

Sorj Chalandon : Je suis un journaliste qui écrit des romans la nuit, voilà !

Philippe Chauveau : La définition du journaliste, aujourd'hui, quelle est-elle ?

Sorj Chalandon : Quelqu'un qui, pour moi, est une sorte de reporter. Un jour, pour me faire de la peine, je pense, un rédacteur en chef m'avait dit : « Il y a deux sortes de journalisme, le journalisme du savoir et le journalisme du regard. Toi, tu es un journalisme du regard ». Et ça me va très bien ! Donc, en ce qui me concerne en tant que journaliste, je ne pense pas, je rapporte ce que les gens pensent. Je ne vois pas, je rapporte que les gens voient. Je ne pérore pas, je rapporte ce que les gens disent. Pour moi, c'est ça le journalisme. Je ne suis pas un éditorialiste, je suis un rapporteur de gens.

Philippe Chauveau : Justement, le journaliste que vous êtes, avec le parcours et le bagage que vous avez, ce journaliste, quel regard porte-t-il sur ce qu'est le journalisme aujourd'hui, notamment en France ?

Sorj Chalandon : Pour moi, c'est un métier qui souffre parce qu’il est très déconsidéré. Autrefois, lorsque les journalistes frappaient à la porte d'une petite ferme pour avoir un renseignement, on les faisait entrer pour leur donner le café. Maintenant, ils sont accueillis à la porte de la ferme avec un fusil. On dit que les journalistes, les policiers, les magistrats, tout ça, c'est tout pourri ! Donc, il faut se battre contre cette image qui s'est dégradée terriblement. Peut-être, d'ailleurs souvent, par la faute des journalistes eux-mêmes ! Mais en tout cas, pour moi, le journalisme reste l'un des plus beaux métiers au monde. Rendre compte, c'est quand même quelque chose qui est insensé. Sauf quand, lorsque vous lisez sur les réseaux que j’appelle asociaux, tous ces trucs où l’on dit que c’est la faute aux média. On va dire que si un type pique dans la caisse, s’il se goinfre, s’il est emprisonné, c'est la faute aux médias ! Non, ce n'est pas la faute aux media si le type a piqué dans la caisse ! Le problème, c'est qu'on en parle et on pense que c'est très moche. Nous ne sommes que des baromètres qui disons ce qui se passe. En espérant qu'il fasse beau, désormais, on casse le baromètre et ça je ne supporte pas.

Philippe Chauveau : C'est à dire que le journaliste est un baromètre ? Mais le journaliste n'est-il pas aussi un peu un lanceur d'alerte parfois ?

Sorj Chalandon : Oui, il peut être un lanceur d'alerte. Je travaille au « Canard Enchaîné » donc c'est quelque chose que je connais… Mais, c'est un journalisme que moi je ne pratique pas même si je l'aime ce journalisme là. J’aime les gens qui lancent des alertes, les gens qui travaillent pour retrouver le chèque n° 23 qui prouve que le type a effectivement piqué dans la caisse ! Mais moi, ce journalisme là, je le laisse à d'autres, notamment dans mon journal, à ceux qui ont des carnets d'adresses, qui ont des envies comme ça de rapporter des choses. Moi, ce qui m'intéresse le plus, c'est la vie des gens et c'est ce journalisme là que j'aime. Peut-être parce que je ne sais pas faire l'autre.

Philippe Chauveau : Vous avez évoqué les réseaux sociaux en employant le terme de réseaux asociaux. Vous même avez une présence sur les réseaux sociaux. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cet outil ? Vous dites « attention au danger » en l'occurrence ?

Sorj Chalandon : Oui, même si je ne suis que sur Facebook. Mais il se trouve que, dans tous mes derniers "posts" comme on dit, j’évoquais le problème kurde ou la Syrie. Je ne m'en sers pas pour faire mon auto promotion mais il y a quelques jours, par exemple, j'ai posté quelque chose sur l'islamophobie et cette manifestation qui a eu lieu. Et j'ai mis en parallèle cet enfant à qui un adulte a collé cette petite étoile jaune à cinq branches avec un tout petit croissant et une énorme étoile jaune qui évidemment rappelle ce que l'on sait et j'ai collé à côté de ça un gamin juif, en noir et blanc, avec cette même étoile et je dis qu'il ne faut pas jouer avec ça. Au final, neuf cents réponses de gens qui s'insultent ! Alors, j'ai tout arrêté, je me suis dit : « stop » ! Ce n'est pas le lieu de l'intelligence. C'est un bistrot, c'est un comptoir où les gens éructent et au bout d'un moment, je dis "OK, d'accord, on ferme j'arrête, j'éteins la lumièren rentrez chez vous". Mais j'ai laissé quand même, sur la porte de mon café, la photo du petit enfant juif.

Philippe Chauveau : Deux questions en une. Vous qui, par l'écriture journalistique, depuis des années maintenant, essayez peut-être de faire avancer le monde…

Sorj Chalandon : Je n'ai pas cette prétention là ! Je ne veux pas faire avancer le monde, j'essaie surtout de le comprendre. Je ne peux pas changer le monde, mais je ne veux pas qu'il me change et je me battrai pour que le monde ne me change pas.

Philippe Chauveau : Avez-vous néanmoins, aujourd'hui, une désillusion sur la façon dont le monde avance ? Et l'écriture romanesque est-elle, pour vous, une façon d'être dans un sas de respiration par rapport à ce que vous offre le monde d'aujourd'hui ?

Sorj Chalandon : J'ai été très idéologue et je suis aujourd'hui, disons, orphelin d'idéologie. Je suis revenu un peu de tout mais ce n'est pas du tout du cynisme, c'est de la désaffection et c'est de la tristesse. Et la fiction pour moi est un moyen, non pas d'être gai, mais de me raccrocher à des choses qui me manquent en tant que journaliste.

Philippe Chauveau : Mais vous sentez vous le même en étant journaliste ou romancier ? Y a-t-il deux Sorj Chalandon ?

Sorj Chalandon : Non, il y en a un le jour et un la nuit. Journaliste vraiment dans la journée, et la nuit, une fois que la ville dort, une fois que ma famille dort, une fois que mes enfants dorment, je peux rêver à un autre monde.

Philippe Chauveau : Et ils s'entendent bien ces deux Sorj Chalandon ?

Sorj Chalandon : Oui, ça va ! On se croise le matin et le soir…

Philippe Chauveau : Votre actualité chez Grasset votre neuvième titre une joie féroce.

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  • Grand reporter, journaliste, Sorj Chalandon connait bien notre monde qu’il a largement sillonné. Observateur attentif et fidèle de notre époque, il écrit pour Libération avant de rejoindre la rédaction de Canard enchainé en 2009. On rappellera que Sorj Chalandon reçut le prix Albert Londres pour ses reportages sur le procès de Klaus Barbie. Mais Sorj Chalandon s’est aussi fait un nom en librairie en tant que romancier, depuis 2005, année de son premier titre « Le premier bonzi ». Depuis, se basant souvent sur son propre...Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Présentation - Suite
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