Sorj Chalandon

Sorj Chalandon

Une joie féroce

Livre 00'06'30"

Philippe Chauveau :
Sorj Chalandon, nous allons faire connaissance avec quatre femmes. Ce sont les héroïnes d'« Une joie féroce », votre neuvième titre. Il y a Jeanne, qui va ouvrir le bal, il y a Brigitte, il y a Assia et il y a Mélodie.
Ces quatre femmes, on les découvre lorsqu'elles préparent un casse. C'est le début du roman. Et puis après, on va remonter un petit peu en arrière et vous allez nous expliquer comment ces quatre femmes se sont rencontrées. C'est la salle d'attente d'un hôpital qui est un peu le lieu de rendez-vous de ces quatre femmes. Qui sont-elles ces quatre héroïnes que vous avez eu envie de nous présenter ?

Sorj Chalandon :
D’abord, pour la première fois, je suis une femme ! Cela veut dire que dans mes huit romans précédents, les femmes avaient un tout petit rôle. Il n'y avait presque pas de rôle pour elles, c'est vrai. Elles étaient des ombres d'hommes. Elles étaient en périphérie. Je m'étais toujours juré qu'un jour, je mettrais en scène des résistantes et des combattantes. Sauf qu'il fallait une bonne raison et la bonne raison donc c'est la maladie. Ma femme a été touchée par le cancer et, onze jours après, je suis diagnostiqué à mon tour. Donc, notre appartement est devenu le pavillon des cancéreux! Là, je me suis dit que je n’allais pas parler de mon cancer parce qu'il ne m'intéresse pas. En revanche, le moyen d'être une femme, ça y est, je l'ai ! Donc, je vais me battre, je vais être une femme, je vais être Jeanne, l'héroïne de ce roman et il faut que je mette au point un appareillage romanesque qui fait que cette femme là va rencontrer d'autres femmes. Elles seront quatre en tout. Des femmes secrètes, des femmes qui ont une petite vie normale. J'ai envie de les retrouver avec une arme dans la main.

Philippe Chauveau :
Il y a, en sorte, deux romans en un. Il y a toutes les scènes qui se passent à l'hôpital, lorsqu'elles sont dans l'attente, les moments de doute et les moments d'angoisse. Jeanne qui voit aussi sa vie se déliter parce que son mari va se montrer très faible, il va s'en aller lorsqu'il va apprendre la maladie de son épouse. Et puis, il y a cette autre partie du roman où là, elles vont préparer un casse. Je ne trahis aucun secret puisque c'est dans les premières pages mais je ne vais pas expliquer pourquoi effectivement elles font elles font ce casse. Il y a donc, finalement, deux histoires. Et vous le dites, la maladie n'est qu'un prétexte même si elle est toujours présente.

Sorj Chalandon :
Bien sûr mais elle n'est qu'un prétexte parce que Jeanne est une libraire. Jeanne n'aurait jamais dû avoir une arme à la main et dévaliser une grande bijouterie de la place Vendôme. Jamais ! Pourquoi le fait-elle ? D'abord, parce que son mari s'en va et qu'elle se retrouve seule. Parce que, lorsque vous avez un cancer, les banques ne vous prêtent plus d'argent. C'est fini. Pendant au moins cinq ans, voire dix ans il y a plus de prêts. Ces quatre filles là ont besoin d'argent. On ne dit pas pourquoi mais c'est une raison impérieuse. Ces quatre femmes sont « désenfantées ». Toutes ont un problème d'enfant et elles vont aider la plus jeune, Mélodie, à récupérer le sien. Mais il leur faut de l'argent et, sans entrer dans les détails, cet argent là, où le trouver ? il n'y a plus de banque, il n'y a plus de banquier, il n'y a plus d'amis, il y a plus de copains, il n'y a plus rien. Si ! Place Vendôme, il y a une bijouterie qui est possible. Donc, c'est la maladie qui les pousse. C'est la maladie qui les oblige.

Philippe Chauveau :
Justement, vous nous expliquez que par la maladie, grâce à la maladie, on peut se reconstruire, se construire une nouvelle vie, une autre vie. Et je dis bien construire, il n'y a pas le choix, on a d'autres priorités, on se fait de nouveaux amis, on a d'autres buts et on se découvre peut-être différemment, peut-être plus forte. C'est le cas de Jeanne qui est très faible et qui se révèle finalement être une combattante, une résistante.

Sorj Chalandon :
Vous n'avez pas le choix effectivement. Soit vous baissez les bras, il y a plein de gens qui ont baissé les bras, soit vous vous redressez. C'est l'histoire de quatre femmes qui se redressent et j'aime bien ça.

Philippe Chauveau :
On retrouve dans ces pages toute la sensibilité de votre écriture mais je précise que même si le sujet pouvait parfois prêter au pathos, vous avez complètement évité cela. Il y a même beaucoup d'humour, notamment lorsqu'elle prépare ce fameux casse, lorsqu'elles se découvrent les unes les autres, on s'amuse. Il y a des passages où on a un peu le cœur serré et puis, la page d'après, on a un vrai sourire parce que ces quatre femmes sont épatantes. C'est ce que vous aviez envie d'offrir aux lecteurs ?

Sorj Chalandon :
Oui ! Il se trouve que ce que je reçois en ce moment, pour la promotion du livre, je ne l'ai jamais reçu auparavant. C'est à dire que la violence des femmes qui viennent dans des salons ou dans des signatures et qui enlèvent, devant moi, leur perruque en me disant : « Qu'est-ce que j'aurais aimé vous rejoindre vos filles ! Qu'est-ce que j'aurais aimé participer à ce casse ! », pour moi, c'est une très belle chose. Une copine m'a envoyé un petit SMS, il y a quelque temps, écrivant : « Sorj "t'es une sacrée nana !". Et j’ai trouvé ça tellement joli… Donc, voilà, ce n'est évidemment pas un mode d'emploi pour vaincre la maladie, ce n'est pas non plus un mode d'emploi pour faire un casse réussi, c'est juste : « Moi j'en sors, je suis Jeanne ». J'ai attendu plusieurs mois avant d'être opéré parce que je voulais écrire avec ça en moi. Je ne voulais pas qu'on me l'enlève, je voulais le sentir dans l'écriture chaque jour. Je voulais d’abord que ma femme s'en sorte avant d'être opéré moi-même, mais c'est une sacrée chance d'écrire sur un sujet en étant habité par ce sujet là. Et, une fois que c'est terminé, l'expulser comme un rat pour qu’il retourne dans son égout.

Philippe Chauveau :
Vous ne l'avez expliqué, ce livre est né d'un événement de votre vie avec votre épouse. Ce livre, le portez-vous aujourd'hui comme un étendard ? Tous les deux, vivez-vous la vie plus forte qu'avant ? Est-ce que ce livre finalement va vous accompagner ?

Sorj Chalandon :
Ce livre va m'accompagner parce que la maladie, je n'en suis pas encore tout à fait sorti ! C'est un peu compliqué. Mais je crois qu'au-delà de cela, on prend conscience que tout cela est d'une fragilité épouvantable. Donc, c'est une joie féroce de vivre et en même temps, chaque matin, on est content de se réveiller.

Philippe Chauveau :
Jeanne, Brigitte, Mélodie et Assia, ces quatre femmes combattantes et résistantes sous la plume de Sorj Chalandon, « Une joie féroce ». Le livre est publié chez Grasset. Merci beaucoup.

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  • LIVRE
  • Grand reporter, journaliste, Sorj Chalandon connait bien notre monde qu’il a largement sillonné. Observateur attentif et fidèle de notre époque, il écrit pour Libération avant de rejoindre la rédaction de Canard enchainé en 2009. On rappellera que Sorj Chalandon reçut le prix Albert Londres pour ses reportages sur le procès de Klaus Barbie. Mais Sorj Chalandon s’est aussi fait un nom en librairie en tant que romancier, depuis 2005, année de son premier titre « Le premier bonzi ». Depuis, se basant souvent sur son propre...Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Sorj Chalandon. Votre actualité, « Une joie féroce », votre 9ème titre, aux éditions Grasset. Vous êtes romancier, certes, mais on n'oublie pas la casquette de journaliste. Il y eut « Libération », aujourd'hui « Le Canard enchaîné » entre autres. Vous sentez-vous plus journaliste ou romancier ? Sorj Chalandon : Je suis un journaliste qui écrit des romans la nuit, voilà ! Philippe Chauveau : La définition du journaliste, aujourd'hui, quelle est-elle ? Sorj Chalandon : Quelqu'un qui,...Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Portrait - Suite
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