Djaïli Amadou Amal

Djaïli Amadou Amal

Les impatientes

Portrait 00'07'45"

Philippe Chauveaux :

Bonjour Djaïli Amadou Amal.

Djaïli Amadou Amal :

Bonjour.

Philippe Chauveaux :

Merci d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes dans l'actualité avec ce très beau roman aux éditions Emmanuelle Collas, Les Impatientes. On parle beaucoup de vous puisque vous avez obtenu à la fin de l'année 2020 le prix Goncourt des lycéens. On va reparler de ce livre, bien sûr, mais j'aimerais que nous fassions un petit peu plus connaissance. Vous êtes née au Cameroun d'un père camerounais, d'une mère égyptienne. Et puis, il y a eu très vite cette envie de l'écriture, de la littérature. Comment découvrez-vous le livre ? Comment le livre fait son apparition dans votre vie ?

Djaïli Amadou Amal :

Le livre, je le découvre par hasard. Je suis né dans une petite ville et il n'y avait absolument pas de bibliothèque quand j'étais petite, j'ai trouvé un livre par hasard chez une amie expatriée. Et puis voilà, c'était devenu une obsession. Il fallait que j'en trouve à tout prix. Et pour cela, la petite musulmane que j'étais était prête à monter sur un arbre, à escalader le mur de l'Église catholique, rentrer à l'Église pour pouvoir trouver des livres parce que j'avais entendu parler qu'il y avait une petite bibliothèque. Et voilà, j'ai passé pratiquement toute mon enfance et mon adolescence à lire. Et c'est ça qui m'a donné cette ouverture sur le monde et la possibilité de regarder autour de moi et de me rendre compte que quelque chose n'allait pas.

Philippe Chauveaux :

Justement, cette ouverture sur le monde par le livre, vous avez quelques auteurs, quelques titres qui vous ont fait avancer, qui vous ont fait grandir et qui vous ont donné envie de prendre la plume à votre tour.

Djaïli Amadou Amal :

D'abord, j'ai lu tous les classiques français. Et puis, je suis tombée sur la littérature africaine et notamment des auteurs de l'Afrique de l'Ouest. Je me rappelle de deux romans particulièrement qui m'ont vraiment touchées, Une si longue lettre de Mariama Bâ et Sous l'orage de Seydou Badian. Immédiatement, je me suis rendu compte que ces livres traitaient de mon environnement, des problèmes qu'on avait chez nous et puis, il y avait quand même une prise de conscience, surtout sur le mariage précoce et forcé et sur la polygamie.

Philippe Chauveaux :

Ce sont des thèmes que vous allez aborder dès vos premiers titres, romans. On va y revenir, mais à quel moment vous sentez-vous autorisée ? Par ce que vous avez fait des études, vous avez eu d'autres envies avant l'écriture ? Ou vous vous êtes dit un matin je serais auteur.

Djaïli Amadou Amal :

Je pense que je ne me suis jamais posé la question. Lire, écrire, ça a toujours fait partie de ma vie. Je me rappelle que déjà, au collège, en cinquième, quatrième, mon plus grand plaisir était de découper mes cahiers, faire des carnets, écrire des histoires les illustrer et les offrir à mes meilleures amies. Ce qui fait donc que j'avais beaucoup de meilleures amies. Ce n'est pas arrivé d'un seul coup. Quand on me posait la question : "Qu'est-ce que tu veux faire plus tard ?". Ça a toujours été : "je veux être écrivain et journaliste". Pour moi, c'était que ça. Et puis tout s'est interrompu à l'adolescence, quand j'ai eu 17 ans. Je venais d'entrer au lycée et puis on décide de m'envoyer en mariage.

Philippe Chauveaux :

Et puis ensuite, il y a ce mariage forcé. Ce sont des thèmes que vous allez choisir dans votre écriture pour dénoncer ces faits de société. Walaande, l'art de partager un mari, c'est le premier titre en 2017. Après, il y a de Mistiriijo, la mangeuse d'âmes. Pardonnez-moi pour la prononciation. Il y a l'envie de dénoncer le sort des femmes de votre pays à travers ces titres.

Djaïli Amadou Amal :

Oui, j'ai été mariée de force. Je savais qu'il y avait quelque chose qui n’allait pas. Je me réfugiais dans la lecture d'abord. Et puis ensuite, j'ai eu des enfants. Mes filles commençaient à grandir et je me rendais compte simplement que si je ne faisais rien, elles seront envoyées également en mariage précoce et forcé, et je ne pourrais rien faire pour les protéger. Alors je me suis enfuie. En m'enfuyant, je savais déjà une chose il fallait que je trouve le moyen d'être une voix suffisamment forte pour me sauver moi-même. Mais également pour pouvoir être là quand mes enfants en auront besoin.

Philippe Chauveaux :

Je ne trahis aucun secret en rappelant qu'il y a eu deux mariages qui ont été catastrophiques en ce qui vous concerne. Aujourd'hui, vous avez un troisième époux et tout se passe bien. Mais avez-vous l'impression que l'écriture a été salvatrice pour vous ? Vous sentez-vous aujourd'hui investie d'une mission également, puisque vous le dites, vous êtes une voix. Est-ce que c'est pour vous, une sorte de mission pour toutes ces femmes qui ont connu le même sort que vous ?

Djaïli Amadou Amal :

Bien sûr, je dirais sans aucun doute que la littérature m'a sauvé la vie, dans le sens où d'abord, dans la lecture, j'ai pu trouver le moyen de pouvoir m'échapper, d'être par tout ou j'avais envie d'être, sauf où j'étais réellement. Quand j'ai commencé à écrire ça a été d'abord une thérapie pour moi-même. Mais ensuite voilà, être une voix suffisamment forte, une voix qui porte pour ces milliers de femmes qui vivent dans le Sahel, pas seulement dans le nord Cameroun, mais pratiquement dans tous les pays du Sahel. Il faut le rappeler, la condition des femmes reste la même. Aussi bien au nord Cameroun qu'au Tchad, Burkina Faso, Mali, Sénégal. Bref, dans tous ces pays du Sahel.

Philippe Chauveaux :

Vous le dites, vous êtes une voix, mais j'ai envie de rajouter que vous êtes aussi une plume parce qu'il y a un style. Il y a une écriture qui vous est propre. Aujourd'hui, au Cameroun, votre travail en tant qu'auteur est reconnu. Vous faites partie de ces personnalités qui comptent au Cameroun. C'est de la que découle la création de votre association, de votre fondation.

Djaïli Amadou Amal :

C'est deux travails, à la fois différents et qui se rejoignent. Quand j'ai publié mon premier roman, je me suis dit "OK, maintenant que tu as brisé les tabous, et que tu as dit les interdits et les choses, qu'est-ce que tu fais concrètement sur le terrain?". Et c'est comme ça que j'ai créé l'association, en 2012, pour parrainer les enfants, promouvoir l'éducation des filles, sensibiliser sur l'importance de continuer les études, sur comment se prémunir des violences, créer des bibliothèques, encourager les femmes à avoir des activités génératrices de revenus, etc. Mon premier roman, Walaande, a été inscrit au programme scolaire de mon pays. Ça, c'est quelque chose de très important, mais également permettre à toutes ces jeunes filles d'avoir un exemple positif. Si je suis arrivée vous pouvez y arriver aussi.

Philippe Chauveaux :

On parle de votre ouvrage avec ce fait que vous pointez du doigt le sort des femmes en Afrique et notamment au Sahel et au Nord Cameroun. Mais j'ai l'impression que votre écriture va bien au-delà parce que on parle des femmes africaines, certes. Mais votre écriture dénonce aussi toutes les violences faites aux femmes, que ce soit des violences physiques ou psychologiques. C'est peut être aussi en cela que votre écriture trouve résonance un peu partout dans le monde ?

Djaïli Amadou Amal :

C'était le but. Quand j'ai commencé à écrire ce roman, mon thème c'était les violences faites aux femmes. Les violences sont sous plusieurs formes, et c'est pour cela que j'ai choisi de décrire ces violences la par plusieurs voix de femmes. Les violences faites aux femmes, c'est un sujet universel, ça concerne tout le monde. Évidemment, c'est un sujet suffisamment important pour que l'on s'y attarde tous.

Philippe Chauveaux :

Votre livre qui a obtenu le prix Goncourt des lycéens, Les Impatientes, Djaïli Amadou Amal. Vous êtes publié aux éditions Emmanuelle Collas.

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  • Djaïli Amadou Amal est née en 1975 au Cameroun, et plus précisément dans cette partie de Sahel au nord-est du Cameroun où la tradition peul est encore bien établie. Musulmane, dans une famille où les filles ne sont pas censées avoir accès à la culture, la petite Djaïli découvre la lecture en cachette et, fascinée par le pouvoir des mots, elle décide qu’elle deviendra écrivain. Mais bien vite, sa scolarité est interrompue et on la marie de force à l’âge de 17 ans. Dix ans plus tard, nouveau mariage, cette fois-ci avec...Les impatientes de Djaïli Amadou Amal - Présentation - Suite
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    Philippe Chauveaux : Les impatientes, qui sont elles, ces impatientes? Il y a trois femmes que nous allons découvrir, trois femmes qui ont des liens plus ou moins forts. Vous allez nous les présenter. Il y a Ramla, Hindou et Safira. Nous sommes au nord du Cameroun, dans cette région que vous connaissez bien, votre région de naissance d'origine. Nous allons découvrir la vie de ces femmes dans des concessions. Une première chose pour nous qui sommes Français, c'est quoi une concession au Cameroun?   Djaïli Amadou Amal : Une...Les impatientes de Djaïli Amadou Amal - Livre - Suite