Amélie Nothomb

Amélie Nothomb

Les aérostats

Portrait 00'09'24"

Philippe Chauveau
Bonjour Amélie Nothomb.

Amélie Nothomb
Bonjour Philippe.

Philippe Chauveau
Merci d'avoir accepté notre invitation. C'est votre 29ème titre déjà, Les aérostats. Quel joli parcours. Justement, lorsque vous regardez en arrière, il y a des images qui reviennent depuis 1992, toutes les rencontres, toutes les sorties de livres. Ça représente quoi dans votre vie de femme ?

Amélie Nothomb
C'est l'essentiel de ma vie. Ce sont mes enfants. Je n'ai pas d'enfant de chair, mais j'ai beaucoup d'enfants de papier. Et le moment où, c'est souvent avec vous, n'est ce pas, que j'ai pour la première fois montré un de mes enfants.

Philippe Chauveau
Lors des rentrées Albin Michel, oui.

Amélie Nothomb
Si j'ose dire, vous avez été un petit peu le prêtre qui a baptisé mes enfants. Alors, vous imaginez, c'est un rapport très fort qui existe entre vous et moi.

Philippe Chauveau
Avez-vous l'impression, finalement, que cette vie était toute tracée ? Où sont-ce les hasards de la vie qui vous ont menés là où vous êtes ?

Amélie Nothomb
Je peux vous dire que cette vie n'était pas tracée du tout. Je me souviens quand j'avais de 18 à 23 ans, mais je me disais, "mais c'est pas possible, mais je suis une cause perdue. Mais il ne va rien m'arriver. Je serai jamais bonne à rien." J'étais terriblement à la fois exaltée par cette idée et angoissée par cette idée. C'était à double tranchant. Tour à tour, je me disais c'est génial, tu es tellement libre, t'es tellement bonne à rien que tout peut arriver. Et à d'autres moments, je me disais, "écoute ma pauvre ma fille, t'es tellement nulle que tu es une espèce de cas social, Mon dieu, tu vas mal finir".

Philippe Chauveau
La littérature fait son entrée dans votre vie très tôt. Vous avez été une grande lectrice.

Amélie Nothomb
J'ai très vite été une grande lectrice. Mes parents lisaient énormément. La littérature était très présente à la maison. Je pense surtout que ce qui m'a fait lire, c'est le fait que, du fait de la profession de mes parents, ils étaient diplomates, la fin du monde se reproduisait environ tous les trois ou tous les cinq ans, c'est-à-dire que tous les 3, 5 ans, je perdais tout, le pays où je vivais, l'école où j'allais, tous mes amis, etc. Et je devais tout recommencer ailleurs avec mes parents et ma sœur. Aimer les livres, ça avait du sens parce que eux, on ne les perdait pas tous les trois ans. D'où un attachement extraordinaire à la littérature.

Philippe Chauveau
Qu'est-ce qui vous a sauvée finalement, ce sont les livres ou c'est l'écriture ?

Amélie Nothomb
Je pense que écrire m'a permis de renouer avec mon corps. Mais finalement, ça, c'est arrivé plus tard. Le premier salut, le salut par les livres, il est arrivé dès que j'ai quitté le Japon. J'ai quitté le Japon à l'âge de cinq ans. Ça a été le premier choc de ma vie et probablement le plus grand. Et c'est suite à ça que j'ai commencé à lire et à devenir vraiment une lectrice. C'était dans l'idée de commencer une vraie continuité dans ma vie.

Philippe Chauveau
Aujourd'hui, lorsque vous vous attaquez à un nouveau roman, il y a ceux qui sont publiés, et puis tous ceux que vous avez écrits, qui patientent, qui patientent gentiment. Le plaisir est-il toujours le même, le plaisir de l'écriture, et le besoin de l'écriture est-il toujours le même ?

Amélie Nothomb
Le plaisir augmente à proportion que c'est difficile et c'est ça la bonne nouvelle, c'est que c'est de plus en plus difficile. On pourrait croire que du fait que j'ai beaucoup écrit, j'ai attrapé ce qu'on pourrait appeler du métier, mais c'est totalement le contraire. Plus j'écris, moins je sais comment faire. Quel serait l'intérêt de continuer à écrire si ce n'était pas pour défricher un petit peu de territoire inconnu de plus à chaque fois, et plus on l'a fait, plus il est difficile de défricher du territoire inconnu, donc c'est de plus en plus compliqué. Heureusement, j'aime la difficulté, donc cela m'exalte de plus en plus.

Philippe Chauveau
Quelle relation entretenez-vous avec les médias, que ce soit la télévision, la radio, la presse écrite ? Et avez-vous l'impression que, au fil du temps, votre relation s'est apaisée ? Le terme est peut être un petit peu excessif, mais cette relation a-t-elle évolué ?

Amélie Nothomb
Avec les années, j'ai mieux compris que les médias, ça n'existait pas. La télévision, ça n'existait pas. En vérité, il n'existe que des rencontres qui ont lieu devant tel ou tel média. C'est pour ça que, dire : "je n'aime pas la télévision", ça n'a aucun sens. La télévision avec Philippe Chauveau, c'est très agréable. La télévision, avec d'autres présentateurs que je ne nommerais pas forcément, ça peut être extrêmement angoissant. Il en va des médias comme de n'importe quelle rencontre humaine. Il y en a qui sont terriblement agréables, terriblement simples et souples. Et il y en a d'autres qui vous raidissent de peur.

Philippe Chauveau
Vous avez pu souffrir d'une certaine image qu'on avait construite autour de vous ?

Amélie Nothomb
Vous savez, ce serait excessif de dire que j'en ai souffert. Je pense que c'est juste une fatalité. Vous devenez connue. Les gens ont besoin de vous identifier à des signes et de là à vous figer dans une image, il n'y a qu'un pas, mais ça n'a pas beaucoup d'importance pour moi. Je trouve déjà formidable que les gens ne m'aient pas tout à fait oubliée, alors tant qu'à m'identifier à certains signaux... Je pense que les gens vraiment intelligents voient bien que je suis plus que certains signaux.

Philippe Chauveau
Quel regard portez-vous sur le monde d'aujourd'hui et en quoi votre écriture peut-elle aider à faire avancer ce monde ?

Amélie Nothomb
C'est un monde qui me fait peur. Dont on ne voit pas très bien comment il va évoluer. J'espère que la littérature au sens large pourra lui servir de tuteur. C'est peut être un point de vue exagérément optimiste, mais en même temps, je ne pense pas. La littérature a toujours été un guide pour la société. Je ne vois pas pourquoi, pourquoi cela changerait. D'où l'urgence plus grande que jamais de lire aujourd'hui. Alors, mes livres, je ne sais pas. Les livres en général. Ce serait un petit peu naïf de ma part de m'imaginer que mes livres à moi vont indiquer une direction.

Philippe Chauveau
Vous nous laissez entendre que par l'écriture, c'était une sorte d'accomplissement de votre vie. Vous nous avez laissé entendre le bonheur aussi que vous apportait la relation avec les lecteurs. Finalement, vous compensez la difficulté de votre jeunesse, de votre adolescence, où vous étiez une enfant assez solitaire, mal dans votre peau. Aujourd'hui, vous vivez doublement ?

Amélie Nothomb
Mais c'est tout à fait vrai. Je crois que c'est ça, finalement, le sens de la phrase de quatrième de couverture sur la jeunesse. Quand j'étais jeune, j'étais tellement seule que je ne pouvais pas être jeune. Et maintenant ? Maintenant, je ne suis plus seule. C'est formidable. Donc finalement, c'est le moment d'être jeune.

Philippe Chauveau
Alors continuez à être jeune et à nous faire rajeunir aussi. Merci. Amélie Nothomb, votre actualité, ça s'appelle Les aérostats et vous êtes publiée chez Albin Michel.

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