Miguel Bonnefoy

Miguel Bonnefoy

Héritage

Portrait 00'06'55"

Portrait

Philippe Chauveau :

Bonjour Miguel Bonnefoy,

« Héritage », c'est votre actualité aux éditions Rivages. Voilà un livre dont on parle beaucoup. Voilà un auteur dont on parle beaucoup aussi ! Vous faites votre petit bonhomme de chemin. Depuis « Le voyage d'Octavio », il s'en est passé pas mal de choses. Si vous deviez vous définir aujourd'hui en tant qu'auteur, qu'écrivain, quelle définition donneriez-vous de vous?

Miguel Bonnefoy :

Un homme chanceux qui a tout simplement eu la bonne fortune de tomber dans une belle maison d'édition, avec une éditrice extraordinaire, avec des attachés de presse sublimes, et me rendre compte à quel point c'est un travail collectif. Les victoires ont souvent beaucoup de pères et les défaites sont orphelines. J'ai observé que chaque livre se passait bien. Donc, il y avait un travail collectif qui était fait. Et si demain un livre se passe moins bien, je pense que, de toutes façons, la maison d'édition sera derrière pour m'épauler.

Philippe Chauveau :

Vous vous sentez en famille chez Rivages?

Miguel Bonnefoy :

Absolument. En famille, et je me sens aussi dans une situation de grande solidarité et de grande générosité, avec beaucoup de participation autour. Je me rends compte que lorsque tu fais ce chemin d'écrivain, tu ne peux pas être en train de penser d'une façon solitaire, mais au contraire, te dire que tu es dans une ruche d'abeilles pour que chacun puisse faire son propre miel.

Philippe Chauveau :

Il y a la famille Rivages et puis, il y a l'autre famille, la vraie famille de Miguel Bonnefoy, avec une mère qui est diplomate vénézuélienne et votre père, qui est romancier chilien. Là aussi, vous avez l'impression que vous êtes tombé dans une bonne famille ? C'est notamment peut-être votre père qui vous fait découvrir l'amour des livres ?

Miguel Bonnefoy :

Oui, c'est mon père qui m'a fait découvrir l'amour des livres en tant qu'écrivain mais ma mère m’a fait découvrir aussi l'amour de la poésie en tant que grande lectrice. Ma mère est attachée culturel. C'est une femme qui a toujours été aussi dans ces porosités de disciplines artistiques, où il y a eu à la maison des compositeurs, des chanteurs et des architectes, il y a eu des peintres aussi. Sans cesse, l'art était présent à la maison. Il y a eu un apport poétique de sa part, vraiment, par rapport à une littérature qui était plus proche presque de la musique que des lettres. Ensuite, mon père, lui, est romancier, donc c'est encore un autre pan de l'histoire, et lui a été davantage dans la structure, davantage dans l'échafaudage du déroulé romanesque, beaucoup plus dans un travail de charpente, alors que ma mère était plus, en effet, dans l'air, dans l'aloi, dans le scintillement d'une phrase.

Philippe Chauveau :

Et en ce qui vous concerne ? Comment le déclic se fait-il ? Pourquoi l'envie de prendre la plume à votre tour ?

Miguel Bonnefoy :

Je pense par mimétisme. Mon père écrit, donc, fatalement, moi, j'ai voulu écrire. Sans doute également pour pouvoir m'accouder au goût et au parfum que ma mère pouvait me donner avec la poésie. Mais également, et je veux le croire humblement, parce que peut-être qu'on a quelque chose à dire ou du moins, j'avais l'impression d'avoir quelque chose à dire ou j'avais envie de le dire.

Philippe Chauveau :

Le Venezuela, le Chili, le Portugal aussi, où, je crois, vous avez fait un séjour assez long, et la France maintenant. Sans doute d'autres voyages de par le monde… Vous êtes un oiseau migrateur, vous êtes un déraciné, un citoyen du monde ? Comment vous considérez vous dans cette période où l’on a souvent tendance à mettre les gens dans les cases, ou lorsqu'ils franchissent les frontières on les regarde parfois de travers.

Miguel Bonnefoy :

C'est vrai? Non ! Moi, j'ai grandi dans une famille de déracinés, d'exilés, dans une famille de migrants. Et si je regarde en arrière, je remonte sans cesse. Plus je remonte dans les généalogies et plus j'observe qu'on a sans cesse cet élan dans des mouvements, dans des déplacements humains, dans un monde, dans un univers de crise migratoire comme celui-ci. Je pense que montrer que les frontières peuvent être ouvertes, qu'il peut y avoir justement des ouvertures à ce niveau-là et qu'il y a des personnes qui essaient de montrer que, dans leur cœur, il n'y a pas de divisions, qu'il n'y a pas de patriotisme, de frontière, qu'il n'y a pas des fissures et des compartiments de nationalité ou d'identité, mais qu'au contraire, on est tous une mélasse, un croisement, un métissage; ce n'est sans doute pas si déplacé de tenir un discours comme ça. C'est avec beaucoup de fierté que je montre, en effet, que je n'ai pas une nationalité précise, que je n'ai pas une langue précise et que jamais, je ne serai celui qui se dressera devant des drapeaux pour cracher sur d'autres.

Philippe Chauveau :

J'aimerais que l'on fasse une petite parenthèse sur cet autre voyage qui est celui de la Villa Médicis en 2018-2019. Pour l'auteur maintenant reconnu que vous êtes, qu'apportent ces deux années à la Villa Médicis ?

Miguel Bonnefoy :

Merveilleux, bien sûr, c'était un rêve d'enfant ! Comme pour énormément d'artistes, que ce soit des peintres, des compositeurs, des écrivains ou des historiens de l'art, c'est bien entendu le rêve absolu de pouvoir aller à la Villa Médicis ou tu sais que tu vas être installé là-haut. Pendant trois siècles et demi, la France, l'Académie de France, a essayé de rayonner en Italie. En arrivant à la Villa, tu te rends compte que tu ne t'es pas trompé, qu'on ne t'a pas maquillé l'affaire. C'est vrai que c'est un endroit qui est spectaculaire, qui offre en effet des possibilités immenses. En plus, l'administration de la Villa Medicis s'occupe de dresser des ponts et faire des passerelles avec les artistes locaux pour voir s'il est possible de créer une sorte d'art un peu bipolaire où l’on puisse se répondre et faire écho avec la culture italienne. Ensuite, il y a la rencontre avec les seize autres artistes qui sont là, qui, eux, bien entendu, ne travaillent pas du tout sur les mêmes sujets que toi, sur les mêmes thèmes, qui ont un autre filtre, qui ont un autre angle et qui cependant, par leur influence, finissent par te nourrir davantage, t'alimenter en plus. Lorsque tu as des conversations et que tu dis que tu es en train de travailler sur la migration, tu te rends compte que l'autre travaille également sur la migration mais du point de vue de la composition musicale. Il finit par éclairer et mettre en lumière des choses que tu n'avais même pas soupçonnées.

Philippe Chauveau :

On l'a dit, le voyage est l'une des constantes, l'une des récurrences de vos romans. Il y a aussi souvent beaucoup de poésie et beaucoup de couleurs dans votre écriture et une foison de personnages picaresques. Néanmoins, il y a souvent aussi la fureur de la grande Histoire qui traverse vos romans avec des moments de violence. Diriez-vous que vous êtes aussi parfois un écorché vif qui met de belles couleurs pour masquer un certain désappointement?

Miguel Bonnefoy :

Intéressant… Je ne me présenterais pas comme un écorché vif pour une raison très simple c'est que, pour en avoir rencontré comme vous sans doute dans la vie, on se rend compte qui sont les véritables écorchés vifs du monde. Et moi, je n'ai pas du tout une vie compliquée, j'ai au contraire eu une vie suffisamment heureuse pour ne pas être en train de me charger d'amertume. J'essaie, comme je peux, de travailler dans les livres, une sorte de monde dans lequel il peut y avoir des fleurs et pas seulement des épines.

Philippe Chauveau :

Votre actualité, Miguel Bonnefoy, « Héritage », aux éditions Rivages.

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  • Depuis son premier roman, « Le voyage d’Octavio », en 2013, Miguel Bonnefoy a trouvé une place bien à lui dans l’univers littéraire. Né d’une mère vénézuélienne, diplomate, et d’un père chilien, romancier, Miguel Bonnefoy a choisi d’évoquer dans ses romans le voyage, l’exil, le déracinement, dans une langue à la fois poétique et lumineuse, flirtant avec le conte. Son nouveau roman « Héritage » est une véritable réussite. On ne s’étonnera pas qu’il ait séduit les jurés des prix Femina et Goncourt...L'inventeur de Miguel Bonnefoy - Présentation - Suite
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    Livre Philippe Chauveau : Dans ce nouveau roman, Miguel Bonnefoy, « Héritage », on retrouve des thèmes que vous aviez parfois abordés sous d'autres formes dans vos précédents titres. Là, nous faisons connaissance avec toute une famille que nous allons suivre sur quatre générations au fil des pages. Le point de départ, c'est quand même celui qu'on appelle le patriarche, qui va se faire appeler, un peu par hasard, Lonsonier. Ce patronyme sera le nom qu'on va leur donner désormais,. Nous sommes à la fin du 19ème siècle. Le...L'inventeur de Miguel Bonnefoy - Livre - Suite