Miguel Bonnefoy

Miguel Bonnefoy

Héritage

Livre 00'07'09"

Livre

Philippe Chauveau :

Dans ce nouveau roman, Miguel Bonnefoy, « Héritage », on retrouve des thèmes que vous aviez parfois abordés sous d'autres formes dans vos précédents titres. Là, nous faisons connaissance avec toute une famille que nous allons suivre sur quatre générations au fil des pages. Le point de départ, c'est quand même celui qu'on appelle le patriarche, qui va se faire appeler, un peu par hasard, Lonsonier. Ce patronyme sera le nom qu'on va leur donner désormais,. Nous sommes à la fin du 19ème siècle. Le phylloxéra a fait des ravages en France. Il arrache le dernier ceps de vigne encore à peu près vivace. Et il prend le bateau. Qui est-il, ce fameux patriarche ?

Miguel Bonnefoy :

Il semblerait, selon ma légende familiale, que les Bonnefoy sont nés près de Boissières, près de Clairvaux-les-Lacs, pas loin de Lons-le-Saunier. Le premier Bonnefoy était tavernier ; il n'était pas vigneron mais bien tavernier. À partir de là, ils sont partis au Chili pour des raisons un peu inconnues. Mais je pense, en effet, que, étant tavernier, peut-être qu'il y a eu une crise au niveau de la viticulture. Lui a été touché par procuration. Ensuite, il s'est retrouvé à prendre ce navire en fer pour traverser l'Atlantique et arriver au Chili. J'ai voulu imaginer par le filtre de la fiction un personnage qui puisse en effet s'appeler Lonsonier et qui, lui, aurait quitté la vigne, étant directement vigneron, fuyant le phylloxéra pour aller les replanter sur les flancs de la cordillère.

Philippe Chauveau :

Le lecteur va donc embarquer avec ce patriarche et son cep de vigne sur ce bateau de fer jusqu'au Chili. Et puis, on va suivre cette famille sur plusieurs générations. Il y a une belle galerie de portraits, que ce soit Lazare, que ce soit Thérèse et ses oiseaux, que ce soit ensuite Margot l'aventurière et son avion. Tous ces personnages, comment les avez-vous conçus ?

Miguel Bonnefoy :

Ils se construisent de deux façons. D'abord, bien sûr, dans la terre de l'imagination, dans laquelle chacun a envie de développer. Par exemple, pour le personnage ornithologue, tu as envie de développer un personnage aviatrice, de pouvoir rendre hommage aux guérisseurs mapuche chez Alcanes avec les matches, tu as envie de parler d'une sorte de poilu franco-chilien qui, lui, se battraient dans la Marne. Bien sûr, ils naissent comme ça dans l'imagination, comme tous les écrivains, comme tous les livres. Mais il y avait à côté aussi des chevilles narratives qui étaient un peu obligatoires pour pouvoir bien dresser l'architecture du livre. Et ça obligeait d'avoir certains personnages pour pouvoir en introduire d'autres. C'est pour dire que si le personnage de Margot, l'aviatrice devait naître, c'était intéressant de pouvoir lui donner une sorte de présage en la faisant naître au cœur d'une volière. Mais si elle doit naître au cœur d'une volière, et bien il faut construire la volière. Donc, tu te dis, je vais prendre quelques chapitres pour développer le personnage de Thérèse qui, elle, est fascinée par les oiseaux. Mais pourquoi elle est fascinée par les oiseaux ? Allons un petit peu avant pour se demander justement comment le père de Thérèse est arrivé et pourquoi cela l'a obligé à être dans les zoos. Et finalement, les personnages que tu as envie de développer, tu les développes dans ton imagination mais ils finissent aussi par entrer dans une sorte de grande chaîne, une grande fresque narrative qui oblige aussi à créer d’autres personnages.

Philippe Chauveau :

Je l'ai dit en préambule, nous allons suivre cette famille sur plusieurs générations qui va faire souche en Amérique du Sud. Mais il y a ces fameuses racines, que ce soient celles de la vigne ou celles de la famille. Et la France n'est jamais très loin dans leur décor, dans leur histoire. La France est aussi souvent synonyme de la grande Histoire, puisque, par ces personnages, nous allons aussi revivre les deux grandes guerres. Pourquoi était-ce important que ces racines françaises soient aussi noires, finalement ?

Miguel Bonnefoy :

En effet, elles sont noires d'un côté, elles sont blanches de l'autre. Et elles sont noires, bien-sûr, parce que selon ce qu'on m'a raconté dans ma légende familiale, il y a cette Première Guerre mondiale dans laquelle Robert et Charles Bonnefoy meurent. Mais il y a aussi une blancheur, car lorsque tu parles de la migration, il ne faut pas oublier de parler du revers qui est celui de l'accueil dans les années 1970, lorsque tout un flux de latino-américains, fuyant les dictatures du Chili, de l'Argentine, d'Uruguay et du Brésil, sont arrivés sur les côtes françaises, sont arrivés à Paris. Il y a eu un accueil extraordinaire de la part des Français. La France a été une véritable terre d'asile, qui leur a permis justement de se reconstruire, de se réinventer, d'avoir des enfants. Et aujourd'hui, l’un des garçons écrit cette histoire et je pense que cela nous fait réfléchir un peu sur tous les migrants qui se retrouvent dans des tentes, dans des jungles ou aux portes de la France. Ils ont des enfants et qui sait si parmi ces enfants en train de dormir dans une tente, il n’y a pas un prochain astrophysicien, un prochain médecin, un prochain avocat ou un jeune Zola qui se tient là.

Philippe Chauveau :

Vous nous le faites comprendre, la migration est le thème même de ce roman « Héritage ». Et puis, dans votre écriture, il y a toujours ce qui fait le charme de votre travail, c'est cette poésie, cette peinture que vous mettez. Il y a beaucoup d'amour également, que ce soit Lazare et Thérèse, que ce soit dans les rencontres que va faire Margot. Dans cette poésie, il y a un univers assez fantasmé. C'est un peu votre carte de visite ?

Miguel Bonnefoy :

Oui, la langue est mon territoire, la langue est mon pays, disait Fernando Pessoa. Donc, bien entendu que moi, je travaille essentiellement la langue. Il y a un développement au niveau des personnages. Il y a bien sûr un travail d'astuce et de ruse littéraire, avec des prolepses, avec des analepses et ce genre de choses. Il y a bien entendu le travail de documentation au niveau de l'Histoire. Là où moi j'y mets le plus de cœur, là où je m'efforce, avec discipline et avec méthode, de pouvoir créer, constituer un territoire qui est la naissance de l'art comme disait Deleuze, c'est sans doute au niveau de la langue. Je cherche à marier la langue française avec l'espagnol dans un même syncrétisme, sans qu'on y voit les jointures, sans qu'on y voit les coutures et voir s'il est possible d'apporter un peu de couleur, comme une sorte de tropicalisation de la langue française.

Philippe Chauveau :

Au-delà du plaisir de lecture que vous offrez aux lecteurs et de la réflexion aussi à laquelle vous nous incitez avec les thématiques abordées, avez-vous l'impression d'avoir rempli une mission vis à vis de ceux qui vous ont précédés ? Ce livre est-il pour vous une évidence ?

Miguel Bonnefoy :

Oui, mais ce n'est pas non plus un hommage ni une mission par rapport à la réalité et à la migration. Moi, je suis tout petit, j'ai encore tout à apprendre, j'ai encore tout à faire et ce n'est pas non plus une sorte d'hommage que je rends parce que les migrants n'ont pas besoin qu'on les défende. Ils n'ont pas à me dire merci pour un livre comme ça. Mon travail a simplement été celui d'exprimer le monde au lieu de le copier. J'ai fait ce qu'on réclame à un écrivain, c'est à dire mentir pour mieux dire la vérité. Je ne suis qu'un artisan du réel ivre de fiction comme un musicien peut être ivre de silence.

Philippe Chauveau :

C'est l'un des gros coups de cœur de cette rentrée littéraire 2020, une petite pépite. Miguel Bonnefoy, « Héritage », aux Éditions Rivages. Merci beaucoup.

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  • LIVRE
  • Depuis son premier roman, « Le voyage d’Octavio », en 2013, Miguel Bonnefoy a trouvé une place bien à lui dans l’univers littéraire. Né d’une mère vénézuélienne, diplomate, et d’un père chilien, romancier, Miguel Bonnefoy a choisi d’évoquer dans ses romans le voyage, l’exil, le déracinement, dans une langue à la fois poétique et lumineuse, flirtant avec le conte. Son nouveau roman « Héritage » est une véritable réussite. On ne s’étonnera pas qu’il ait séduit les jurés des prix Femina et Goncourt...L'inventeur de Miguel Bonnefoy - Présentation - Suite
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