Sylvie Germain

Sylvie Germain

A la table des hommes

Portrait 6'42

Philippe Chauveau

Bonjour Sylvie Germain.

Sylvie Germain

Bonjour.

Philippe Chauveau

Merci d'avoir accepté notre invitation. A la table des hommes, votre nouveau roman chez Albin Michel. Vous êtes un personnage discret. Mais maintenant vous êtes un personnage qui fait vraiment partie de l'univers littéraire français. On vous voit régulièrement en librairie, vous participez à des colloques, vous faites partie de plusieurs jurys littéraires. Quel regard portez-vous sur le monde du livre de nos jours en 2016, en tant que lectrice peut-être avant tout.

Sylvie Germain

Le monde du livre, c'est tellement vaste...

Philippe Chauveau

En tant que lectrice, est-ce qu'il y a une évolution selon vous dans l'univers littéraire ?

Sylvie Germain

Il y a surtout beaucoup plus de livres qui paraissent, qui sont publiés. Chaque rentrée, on a l'impression qu'il y a un peu plus de livres. D'un côté c'est bien, d'un autre, ça se fait trop souvent au détriment d'un grand nombre d'écrivains qui en valent bien d'autres et qui n'arrivent pas à émerger. En attendant, c'est un peu toujours les mêmes et quand même régulièrement, il y des découvertes de nouveaux auteurs, heureusement, il y a un renouvellement qui se fait. Mais il y en a beaucoup, s'ils n'ont pas eu la chance dès le début d'émerger, ils auront vraiment peut-être plus qu'autrefois encore l'opportunité de se faire reconnaître. Parce que les propositions sont très vastes.

Philippe Chauveau

Sauriez-vous définir l'état dans lequel vous êtes lorsque vous vous trouvez à votre table de travail, lorsque vous êtes en écriture. Dans quel état d'esprit êtes-vous et pensez-vous déjà à celles ou ceux qui vont vous lire ?

Sylvie Germain

Alors je commence par la fin. Je ne pense jamais à ceux ou celles qui vont me lire. Et je me dis toujours que si on pense à des lecteurs éventuels, comment ça va être reçu, les critiques et tout... Il y a quelque chose qui ne va pas. D'abord, on n'est jamais assuré que le livre, on va arriver à son terme, qu'arrivée à son terme, il va être publiable, moi je ne le prends pas pour un acquis même après trente ans de publications. Et puis c'est qui les lecteurs ? C'est très abstraits. Il y a des gens qui vous suivent un temps et puis au bout d'un moment, vous ne les intéressez plus, c'est leur droit, ils s'enthousiasment pour d'autres auteurs. Il y en a qui vous découvrent en chemin. Il y a tous les cas de figures. Il y a des gens qui ont beaucoup aimé certains de vos livres et qui n'aiment absolument pas les livres suivants parce que votre imaginaire a bifurqué ou votre écriture ne leur plait plus. Moi je ne cherche absolument pas à savoir. Je respecte la liberté des autres puisque je me l'octroie cette liberté là. Je peux aimer des livres d'un auteur, ne pas aimer un de ses livres après et puis à nouveau... Vous voyez, il y a tous ces aspects là. Donc non, je ne pense pas au lecteur tant que le livre n'est pas même à la limite fabriqué et sorti. Et l'état dans lequel je suis devant mon ordinateur, puisque maintenant c'est l'ordinateur : c'est paradoxal. Chaque fois, c'est comme ça : c'est très paradoxal. C'est un mélange d'extrême tension, pour être dans une attention tournée vers quelque chose d'invisible et d'impalpable qu'est l'imaginaire pour le laisser émerger, manifester, et de rêverie totale, donc vous voyez... tout est comme ça, une chose et son contraire. Mais c'est surtout une grande disponibilité qu'il faut avoir pour que justement, les choses émergent.

Philippe Chauveau

En préparant cette interview, vous m'avez confié qu'à la fin d'un livre, vous aviez l'impression d'être un fruit sec. Vous aviez l'impression que vous n'alliez pas réussir à écrire quelque chose après.

Sylvie Germain

C'est un sentiment très fort. A la fin même d'un livre, il y a une sorte d'effondrement. Là encore, c'est paradoxal. Tout le temps de l'écriture, vous voudriez en avoir fini. On tend vers la fin, d'autant plus que je ne la connais pas la fin. Moi je découvre mes histoires en les écrivant. Donc il y a cette tension. Et quand on arrive à la fin , il y a une sorte un peu de désarroi. D'un coup... Je compare toujours ça à des histoires d'amour ou d'amitié très intenses, on est ensemble tout le temps, tout le temps, et puis tout d'un coup, c'est fini. Et là il y a un sentiment de vide, de dépossession, d'abandon par soi même, où comme si son imaginaire qui n'a cessé d'arriver par des moments de crues, de grandes vagues et là, grands reflux, la plage est déserte, et on se sent un débris parmi les débris, et sans aucune certitude que ça reviendra.

Philippe Chauveau

Votre travail littéraire au fil des années repose sur deux socles : il y a la philosophie, il y a Dieu, il y a la religion. Vous avez l'impression que vous avez avancé dans votre réflexion sur ces deux thématiques ?

Sylvie Germain

Pas du tout. C'est ça qui est terrible. Je dis toujours : j'ai eu le coup de foudre en terminal pour un sujet de philosophie, pour la matière qu'est la philosophie, sans même encore savoir la définition que donnaient Platon et Aristote, que la philosophie, c'est déjà l'étonnement qui ouvre à un questionnement philosophique. Si on ne s'étonne pas, on ne questionne rien. Mais ce questionnement, cet étonnement là, devant le monde, il est toujours intact. Etonnement qui peut être du côté parfois presque de l'effroi, devant cette fureur, cette violence, qui récidive tout le temps, parce que sur certains plans, on ne voit aucune évolution dans l'histoire de l'humanité, sur d'autres oui. Et puis il y a des aspects qui sont émerveillants, mais sans passer d'un extrême à l'autre, je reste dans une forme d'étonnement, de surtout de questionnement. Et d'une manière générale, par rapport à l'humain, par rapport à l'histoire. Par rapport à moi-même en temps qu'être humain tout simplement, et puis par rapport à la question de dieu que je ne confonds pas avec la religion. C'est assez distinct. Parce que les religions, qui sont des institutions, souvent mêlées au politique, pour le pire et pour le pire, puisque pour le meilleur et pour le pire, c'est à distinguer complètement de la question de Dieu, ou du divin, Dieu là n'étant plus qu'un vocable sur de l'inconnu.

Philippe Chauveau

Sylvie Germain, femme étonnée, finalement, ce serait une bonne définition ?

Sylvie Germain Moui.

Philippe Chauveau

Ca vous convient ?

Sylvie Germain

Je n'aime pas trop les définitions. Femme inachevée, voilà.

Philippe Chauveau

Ah ! Femme inachevée. Ca je garde alors.

Sylvie Germain, femme inachevée. Votre actualité chez Albin Michel, c'est votre nouveau roman, ça s'appelle à la table des hommes.

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  • L'AVIS DU LIBRAIRE
  • Sylvie Germain a tissé au fil des années un lien étroit avec ses lecteurs. Tout en restant discrète et réservée, elle a su au fil des livres imposer son univers et son écriture, alternant romans et essais pour lesquels elle a reçu divers prix, notamment le Goncourt des lycéens en 2005 avec " Magnus ». Influencée par la philosophie et la relation à Dieu, Sylvie Germain contemple notre monde et par l’écrit cherche à le comprendre. Son nouveau titre " A la table des hommes » trouve naturellement sa place dans une...A la table des hommes de Sylvie Germain - Présentation - Suite
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    Philippe Chauveau Dans ce nouveau roman Sylvie Germain, A la table des hommes, nous allons faire connaissance avec un être. Est-ce un humain ? Est-ce un animal ? En tous cas au départ, on ne sait pas trop. Nous sommes dans une période de guerre. Là encore, nous ne savons pas dans quelle période nous sommes. On verra au fil des pages que nous sommes plus dans notre époque contemporaine que dans une époque éloignée. Mais il y a beaucoup de violence dans votre roman. Il y a à la fois toute la vie et toute la violence humaine....A la table des hommes de Sylvie Germain - Le livre - Suite
    J'ai adoré le nouveau roman de Sylvie Germain « La tables des hommes » chez Albin Michel, j'ai retrouvé la Sylvie Germain de « Livre des nuits » son premier livre. Même si ce livre peut sembler difficile, ce qui nous donne la force de le continuer, c'est la beauté de son style et la poésie, c'est un livre très sensuel et comme tous les contes ça se fini avec une note d'espoir. C'est un livre très important pour notre époque, parce qu'il n'est pas daté mais on peut imaginer qu'elle a pensé à ce que le monde vit...A la table des hommes de Sylvie Germain - L'avis du libraire - Suite