Sylvie Germain

Sylvie Germain

A la table des hommes

Le livre 6'53

Philippe Chauveau

Dans ce nouveau roman Sylvie Germain, A la table des hommes, nous allons faire connaissance avec un être. Est-ce un humain ? Est-ce un animal ? En tous cas au départ, on ne sait pas trop. Nous sommes dans une période de guerre. Là encore, nous ne savons pas dans quelle période nous sommes. On verra au fil des pages que nous sommes plus dans notre époque contemporaine que dans une époque éloignée. Mais il y a beaucoup de violence dans votre roman. Il y a à la fois toute la vie et toute la violence humaine. Qu'avez-vous eu envie de raconter à la table des hommes avec ce cochon qui occupe les premières pages ?

Sylvie Germain

Je ne sais pas si c'est une envie. Alors effectivement la question se pose... Au début, on suit un petit animal, en l'occurence un porcelet qui a échappé d'une ferme en flammes, d'une ferme détruite comme tous les villages alentours au cours d'une guerre. Alors je n'ai pas voulu situer d'une manière très précise les lieux ni dater de manière très précise, parce que sinon, ça obligeait à tout un travail de recherches historiques pour ne pas dire n'importe quoi et ce n'était pas mon sujet, mon objet en tous cas.

Philippe Chauveau

D'ailleurs je fais juste un petit aparté. On parle de guerre dans le livre, et c'est ce que vous expliquez dans le roman, c'est que la guerre existe de tout temps, elle est sur tous les territoires et elle se déplace.

Sylvie Germain

Voilà elle se déplace, elle se métamorphose.

Philippe Chauveau

C'est ce qui justifie le fait qu'il n'y ait pas de lieux très précis ou de temporalité.

Sylvie Germain

Ce n'était pas indispensable mais je pense que tout lecteur français en l'occurence devinera en filigrane qu'il s'agit de la guerre en ex-Yougoslavie. Parce qu'on s'était dit quand même en 45 quand on a découvert l'ampleur de l'horreur des camps d'extermination, plus jamais ça. Et en fait, les volontés génocidaires sont toujours là. Et donc même au cœur de l'Europe, on a vu ressurgir ce fléau. Et ça, ça m'avait profondément marqué.

Philippe Chauveau

Et c'est pour ça que cette ferme au milieu de nulle part se retrouve au milieu d'un combat entre civils, et cette ferme est détruite. Et ne survivent dans cette ferme qu'une jeune femme et ce petit porcelet au départ. Ce sont les premières pages.

Sylvie Germain

Ce sont les premières pages, et finalement survivent deux vivants, parce qu'animal ou humain... L'homme est un animal humain justement. Là ce sont vraiment des vivants. Et je crois qu'en cas de catastrophes comme ça, quand on est dans le sauve-qui-peut, la vie, on est tous ramenés à un niveau de vivant. Et chacun développe la stratégie qu'il peut pour survivre. Des deux vivants, c'est le porcelet qui va réussir à s'échapper et assurer sa survie tant bien que mal dans une forêt, et puis jusqu'à un moment où il se passe un phénomène. C'est très court, c'est une demie page, mais c'est vrai que c'est une sorte de nœud qui va se serrer d'un coup et qui fait que quelque chose bascule. C'est un phénomène qui relève on va dire du fantastique. On ne sait pas trop qui, entre l'animal à bout de souffle, épuisé, on devine qu'il va se laisser mourir au fond de la forêt à force de fuir toujours le grand prédateur qu'est l'humain. Et il s'échoue près d'un corps d'un jeune garçon blessé par les soldats qui ont attaqué son propre village. Chacun lutte autant qu'il le peut pour ressaisir la vie. Au sortir de cette sorte de lutte j'ai envie de dire à trois va sortir un être qui est une sorte d'enfant sauvage, nu, c'est un jeune garçon mais avec une mémoire, si on peut parler de mémoire pour un animal, la mémoire n'a rien à voir avec la nôtre puisqu'elle n'est pas portée par du langage. Elle va être faite de quelques images, de sensations, de choses comme ça.

Philippe Chauveau

D'odeurs, de souvenirs fugaces... Sylvie Germain Lui, il a gardé ce flair extraordinairement développé des jeunes porcelets. Après ça va être l'entrée de ce jeune garçon pris pour un enfant sauvage ou idiot dans la communauté humaine.

Philippe Chauveau

Ce vivant mi animal mi homme que l'on découvre au fil des pages observe le monde auquel il est confronté, ce monde qui l'entoure. C'est aussi une peinture de notre société que vous avez eu envie de nous montrer avec sa violence mais aussi sa beauté parce qu'il y a certaines pages qui sont magnifiques. Vous avez à certains moments une écriture poétique qui donne des frissons et la page suivante, on est dans l'horreur absolue. C'est toute notre humanité ?

Sylvie Germain

On est capable vraiment du meilleur et du pire. L'animal il est davantage prévisible, il répond à son instinct. Il ne demande pas plus que ce dont il a besoin l'animal. Il n'a pas l'hubris qu'ont les humains. Il n'a pas non cette duplicité dont va souffrir cet enfant qui est encore très innocent, très naïf. Il va faire les frais de la duplicité des humains. Il va vite se rendre compte que c'est lié au langage. Avec le langage, on peut dire les plus belles choses, les plus grandes merveilles. Mais on peut mentir, on peut jouer double jeu, il y a les sous-entendus, il y a le mensonge, enfin, il y a tout ça.

Philippe Chauveau

Au delà de l'originalité de l'intrigue, Sylvie Germain, on retrouve des thèmes qui vous sont chers, sur la violence du monde, sur notre humanité, sur cette façon de ne jamais réussir à s'en sortir et à avancer. On retrouve aussi le thème de Dieu. D'ailleurs, c'est très présent avec ce personnage qui s'appelle d'abord Babel, puis qui devient Abel. Et c'est un petit peu comme si vous revisitiez la Genèse dans cette histoire.

Sylvie Germain

Quand il s'agissait de lui trouver un nom, je n'avais pas encore pensé quel nom on pouvait lui donner. Les femmes du village trouvent ce gamin qui est nu, il faut l'habiller. On se rend compte qu'il est complètement sauvage. Et il ne sait pas parler. Et c'est par dérision qu'il est surnommé Babel, et c'est un joli son, un joli nom je trouve Babel. Et vraiment, je n'avais pas pensé une seconde que dans Babel, il y a Abel. Je m'en suis rendue compte au cours du récit, au moment où beaucoup plus tard il est devenu un jeune, il a vraiment intégré la communauté humaine, il a acquis le langage. Et une jeune fille avec qui il a son premier rapport amoureux lui dit à un moment : mais pourquoi on t'appelle Babel ? En fait, tu te débrouilles très bien avec le langage. Et si on t'appelait Abel. Et j'étais même un petit peu gênée. Je me suis dit ça coule de source, mais en même temps, c'est trop. Parce que Abel, c'est la figure par excellence de la victime, de l'innocent qui est victime. Et première victime des fratricides. Parce que l'histoire humaine ça n'est que ça, du fratricide à grande échelle. Mais finalement j'ai trouvé que ça convenait, donc je l'ai laissé s'appeler Abel.

Philippe Chauveau

Sylvie Germain, votre actualité, ce très beau roman, et ce personnage Babel-Abel, ce personnage que vous n'êtes pas prêts d'oublier. Ca s'appelle A la table des hommes, c'est un gros coup de cœur et c'est aux éditions Albin Michel. Merci.

Sylvie Germain

Merci.

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  • L'AVIS DU LIBRAIRE
  • Sylvie Germain a tissé au fil des années un lien étroit avec ses lecteurs. Tout en restant discrète et réservée, elle a su au fil des livres imposer son univers et son écriture, alternant romans et essais pour lesquels elle a reçu divers prix, notamment le Goncourt des lycéens en 2005 avec " Magnus ». Influencée par la philosophie et la relation à Dieu, Sylvie Germain contemple notre monde et par l’écrit cherche à le comprendre. Son nouveau titre " A la table des hommes » trouve naturellement sa place dans une...A la table des hommes de Sylvie Germain - Présentation - Suite
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    J'ai adoré le nouveau roman de Sylvie Germain « La tables des hommes » chez Albin Michel, j'ai retrouvé la Sylvie Germain de « Livre des nuits » son premier livre. Même si ce livre peut sembler difficile, ce qui nous donne la force de le continuer, c'est la beauté de son style et la poésie, c'est un livre très sensuel et comme tous les contes ça se fini avec une note d'espoir. C'est un livre très important pour notre époque, parce qu'il n'est pas daté mais on peut imaginer qu'elle a pensé à ce que le monde vit...A la table des hommes de Sylvie Germain - L'avis du libraire - Suite