Bernard Werber

Bernard Werber

Le sixième sommeil

Livre 6'39

Philippe Chauveau : Dans ce nouveau titre Bernard Werber, nous allons faire connaissance avec Jacques Klein mais nous allons aussi faire connaissance avec sa mère Caroline et puis avec son père qui est navigateur, et puis surtout nous allons faire connaissance avec le monde du sommeil et le monde du rêve. Est-ce la première fois finalement, dans tous les romans que vous nous avez offert, que vous vous penchez aussi profondément sur les rêves et sur le sommeil ou est-ce quelque chose qui vous travaille depuis un petit moment ?

Bernard Werber : Alors, moi j'avais fait un grand reportage sur les rêves quand j'étais journaliste scientifique et notamment sur ce peuple des Senoïs en Malaisie qui passe son temps à rêver, à commenter les rêves et j'avais découvert le rêve lucide, c'est-à-dire où on prend conscience dans le rêve qu'on rêve et où on prend le contrôle des décors et des personnages, on devient le metteur le scène de son propre rêve. Donc ça fait longtemps que je m'intéressais à ça, j'ai pratiqué moi-même du rêve lucide. C'est assez compliqué à faire mais c'est très réjouissant, c'est comme si on se créait son film juste avec son imaginaire. Et à partir de là, je m'étais dis : « un jour je ferais un roman sur les rêves, mais qui sorte des romans habituels » parce que je crois que le thème des rêves a été en quelque sorte abusé et par le cinéma et par la littérature. Donc je me suis dit que la manière la plus intéressante d'en parler, c'est d'en parler d'une manière scientifique - qu'est-ce qui se passe réellement dans notre cerveau au moment où on rêve ? - et d'en parler en expliquant... Le monde du sommeil, on passe un tiers de notre vie à dormir, 30 ans dans une vie censé faire 90 ans donc c'est quand même très important. Et ce temps n'est pas du temps perdu, c'est un moment où on se reconnecte à soi-même, c'est un moment où on échappe à la physique, aux lois du temps... On est libre. Le seul moment où on est vraiment libre, c'est quand on rêve. Le reste du temps, on est toujours un peu conditionné par l'entourage. Et je me suis dit : « tiens, imaginons un personnage, Jacques Klein, qui maîtrise le rêve lucide et qui utilise cet espace spécifique pour discuter avec l'homme qu'il va devenir dans le futur, donc son vieux lui-même, mais aussi pour discuter avec l'homme qu'il a été dans le passé, donc l'enfant qu'il a été ».

Philippe Chauveau : Et puis j'ai été intrigué aussi par le titre parce qu'on connaît les cinq moments du sommeil, la hiérarchie des cinq sommeils. Mais le sixième, alors celui-ci vous l'avez inventé le sixième sommeil ? Ou il existe ?

Bernard Werber : Déjà ce qui peut être intéressant c'est de rappeler les cinq premiers niveaux. Donc il y a le sommeil léger, le sommeil moyen, le sommeil profond, le sommeil très profond, ça c'est une nuit normale. Après, il y a le sommeil paradoxal. Le sommeil paradoxal, c'est le moment où notre corps est paralysé et où notre cerveau fonctionne d'une manière encore plus forte que la normale. Donc c'est un paradoxe : pourquoi notre corps dort alors que notre esprit est très vif ? Au fait c'est le moment, le sommeil paradoxal, où on fait le maximum de rêve et c'est aussi le moment où chez les hommes, il y a une érection, c'est aussi le moment où il y a un sentiment de liberté et c'est le moment où on se ressource. C'est le sommeil paradoxal, ça dure dix minutes. Donc j'ai juste imaginé que pendant ces dix minutes il soit possible d'aller encore plus profondément et d'aller dans un sommeil encore plus paradoxal, où le corps est encore plus paralysé et où le cerveau fonctionne de manière encore plus forte. Et ce sixième sommeil, au fait c'est un peu ce que les sages en Inde appellent le nirvana, c'est-à-dire c'est un endroit où on échappe entièrement à la matière et où on est plus dans son corps, on est un pur esprit et, étant pur esprit, on peut faire tout ce qu'on veut et on n'est plus coincé par la chronologie du passé, du présent et du futur : notre esprit est libre dans l'espace et dans le temps.

Philippe Chauveau : A la fin du roman, vous proposez au lecteur quelques pages vierges et vous invitez le lecteur à écrire ses rêves. Vous-même c'est un exercice auquel vous vous astreignez tous les matins ?

Bernard Werber : Oui, il y a toute une discipline pour utiliser son temps de sommeil. L'une d'entre elles consiste à mettre... Je mets mon smartphone dans le lit pour observer mes cycles de sommeil, précisément ces courbes de 90 minutes et de 10 minutes. Et la deuxième c'est : j'utilise aussi mon smartphone tous les matins pour noter mon rêve.

Philippe Chauveau : Ce que je disais toute à l'heure se vérifie aussi avec « Le sixième sommeil », c'est qu'à la fois il y a le plaisir de la lecture avec les personnages, l'intrigue et puis on apprend énormément de choses. Est-ce vrai que lorsque vous parlez de Caroline Klein, qui elle-même est chercheuse en sommeil et en rêves, est-ce que les chercheurs travaillent un peu comme dans le roman ou là est-ce sorti de l'imagination fertile de Bernard Werber ?

Bernard Werber : Il n'y a pas de laboratoires qui ont autant de moyens que celui que je cite dans mon roman. Tout simplement parce qu'en France il y a un problème d'argent pour les labos et qu'en général la recherche est plus financée par les vendeurs de somnifères que par ceux qui cherchent à maîtriser le rêve parce qu'il n'y a pas de marché autour de ça. J'ai rencontré récemment des dirigeants de service de recherche du sommeil et du rêve et tous me disent : « on aimerait bien faire comme dans ton bouquin, malheureusement on manque de moyens ». Donc pour répondre à votre question, pour l'instant non, il n'y a pas beaucoup d'argent investi dans l'étude du sommeil, du rêve même si c'est en France que l'on a découvert le sommeil paradoxal. C'est Michel Jouvet, donc en 1959 qui a découvert ce stade particulier.

Philippe Chauveau : Y'a-t-il beaucoup de points communs entre Bernard Werber et Jacques Klein, le héros du roman ?

Bernard Werber : Je mets toujours un peu de moi dans mes personnages, tout simplement pour leur donner un peu de consistance et pouvoir transmettre des petites anecdotes que les gens ne connaissent pas. L'un des points communs est peut-être le fait que quand je commence à étudier un sujet scientifique, ce sujet m'obsède et que, tant que je n'ai pas trouvé une réponse adéquate, je vais aller dans tous les labos, voyager, discuter jusqu'à ce que j'ai un début de réponse satisfaisant.
Sinon, mon héros – la plupart de mes héros – sont toujours beaucoup plus extrèmes, beaucoup plus courageux, prennent beaucoup plus de risque que j'en prends moi parce qu'après tout la vie d'écrivain est plutôt une vie tranquille et je ne me vois pas partir en Malaisie affronter des tribus plus ou moins hostiles, ni combattre des malaisiens plus ou moins fous comme c'est le cas de mon héros. Et c'est peut-être nécessaire que pour écrire bien un roman avec beaucoup d'action, il faut un écrivain qui soit complètement serein et calme.

Philippe Chauveau : Votre actualité Bernard Werber, ça s'appelle « Le sixième sommeil », c'est publié chez Albin Michel. Merci beaucoup.

Bernard Werber : Merci à vous.

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  • En 25 ans, Bernard Werber a construit un univers littéraire bien à lui, mêlant science, écriture romanesque, aventures, spiritualité et parfois même mythologie et écologie.C'est dans le journalisme scientifique s'est d'abord fait connaitre. Par envie de liberté et d’indépendance, il s'essaie au roman avec le succès que l’on sait. Son premier livre « Les fourmis » en 1991 fut un réel phénomène littéraire et depuis, l'engouement pour le travail de Bernard Werber ne s'est jamais démenti, en France comme à...Le livre, cadeau idéal ? de Bernard Werber - Présentation - Suite
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