Valentine Goby

Valentine Goby

L'île haute

Livre 00'08'58"

Philippe Chauveau
Dans ce nouveau titre, Valentine Goby, L'île haute, nous allons faire connaissance avec un jeune gamin. Il a une douzaine d'années. Il s'appelle à la fois Vadim. Il s'appelle à la fois Vincent. Très vite, on va découvrir que nous sommes dans les années 40 et on va comprendre que cet enfant qui est asthmatique, c'est la partie officielle, cet enfant doit fuir, doit fuir Paris puisque nous sommes en pleine occupation et que ses origines sont juives. C'est le point de départ. Qui est ce petit gamin ? Qui est ce petit Vadim ? Comment l'avez vous conçu ce gamin, ce titi parisien qui va découvrir la montagne ?

Valentine Goby
Pour moi, c'est c'est vraiment la figure du Candide. Évidemment, il est pris dans une menace. Son asthme est bien réel, mais il est aussi métaphorique. Beaucoup de réalité l'empêchent de respirer. Et donc, ce départ à la montagne est salvateur à bien des égards. Mais c'est celui qui ne connaît rien, en fait. D'ailleurs, et connaît pas bien non plus son identité. On la lui assigne. Il n'y a aucune certitude sur cette identité qui reste assez trouble, mais il y a un danger. C'est un enfant de la ville qui n'est pas sorti de la ville et n'ayant pas quitté son quartier, son monde, son royaume est un royaume qui est très éloigné de la nature, de la montagne, on n'en parle même pas. Et donc, c'est l'histoire d'un enfant qui, tout d'un coup, se trouve confronté à l'immensité, l'incongruité de la montagne, qui est un paysage en plus qui lui arrive dans le blanc, c'est-à-dire à la fois...

Philippe Chauveau
Il arrive en plein hiver, effectivement.

Valentine Goby
Totalement vierge, outrancier et caché, dissimulé. Est-ce que la neige, c'est la matière de la montagne ou bien est-ce qu'elle cache, dissimule quelque chose, ce qui va être pour lui d'ailleurs l'occasion de développer de façon extraordinaire son imagination. Et j'ai cherché là à faire un petit peu ce que j'évoquais tout à l'heure. C'est à dire à saisir par le langage des sensations disparues qui ont été les miennes. Dans mon enfance, j'ai découvert la montagne avec un ravissement extraordinaire qui ne s'est jamais démenti, mais j'ai eu envie de restituer l'extraordinaire acuité, l'immédiateté et la splendeur de ces découvertes qui nous submergent quand elles sont des premières fois radicales. Et j'avais envie, voilà, de le développer sur trois saisons puisqu'on va passer de l'hiver au printemps et du printemps à l'été et au fur et à mesure que le paysage change, c'est aussi un déplissement intérieur pour cet enfant qui se découvre et qui grandit dans un rapport au paysage qui lui était absolument impensable avant.

Philippe Chauveau
Alors justement, il va se reconstruire une nouvelle famille. Le cadre historique, entre guillemets, est important, mais ce n'est pas l'essentiel du livre. Certes, nous sommes dans les années 40. Certes, on comprend que cet enfant doit fuir. Il vient d'une famille aimante. Et puis il y a eu des aides qui ont fait que cet enfant a pu être emmener dans les Alpes. Mais ce n'est pas l'essentiel. Ce que vous dites est vrai, c'est la découverte, c'est la première fois de ce gamin dans un paysage qui n'est pas le sien et où il va s'inventer une nouvelle famille avec avec Blanche notamment, qui va être une sorte de mère de substitution. Il va y avoir la rencontre avec Moinette, cette petite, cette petite gamine qui, elle, est vraiment issue de la montagne. Et puis il y a ces sensations. Les couleurs sont très importantes. D'ailleurs, vos trois parties sont identifiées. Il y a le blanc, il y a le vert et il y a le jaune. Mais très souvent, les couleurs sont présentes dans le roman. Comment l'avez vous écrit ? Est-ce qu'il y avait vraiment un plan prédéfini ou est-ce que ce sont les sensations qui sont revenues au fil de l'écriture et qui ont guidé votre plume ?

Valentine Goby
Il y a toujours une sorte d'arc narratif plus ou moins flou qui guide mon écriture, mais qui n'est pas contraint ou restreint à une trame extrêmement précise. C'est un livre qui m'est arrivé pendant le confinement, à une époque où il était très complexe de se déplacer et où le monde s'est arrêté, c'est-à-dire que j'ai effectué en traversant l'espace et en allant dans cette vallée qui est une vallée close totalement coupée du monde d'hiver, mais là plus encore, du fait de l'absence de mécanisation, de damage avec un col qui est fermé sept mois sur douze comme il l'était dans les années 40 avec 20 mètres de neige, des couloirs d'avalanche de toute part, donc un endroit qui est à la fois protégé et menacé, en fait, j'y ai inscrit mon propre corps.

Philippe Chauveau
Notre notre petit gamin Vadim, qui se fait donc appeler Vincent, garde néanmoins le fil avec sa propre famille, mais il y a ces lettres qui arrivent au compte-gouttes de sa mère. Il y a cette famille Dorcel, celle qui l'a aidé à arriver jusque dans les Alpes. Mais néanmoins, c'est bien cette nouvelle famille qu'il est en train de se construire. Parlez-nous peut-être aussi des autres personnages que vous avez imaginés autour de ce gamin.

Valentine Goby
Il a un immense désir d'ancrage en fait, et c'est d'ailleurs une question qu'il se pose de manière continue, bien que discrète tout au long de ces trois saisons, c'est-à-dire à quel point je trahis les miens en désirant être cet autre. Parce qu'au départ, c'est un exil subi.

Philippe Chauveau
Ai-je le droit de donner de l'affection à des gens qui ne sont pas de ma famille alors que ma famille souffre là-bas.

Valentine Goby
Exactement, et c'est même... le paysage va venir sculpter son corps puisque l'air, le vent, le soleil, mais les travaux aussi. Ce sont des gens qui travaillent, ce sont des gens qu'on voit d'abord à travers leurs gestes du quotidien, qui s'occupent des animaux, qui s'occupent du bois, qui s'occupent de la maison, qui cultivent et sont dans une forme d'autarcie nécessaire. Ces gens-là sont un ensemble de gestes qu'il va apprivoiser, en se les appropriant, il va devenir semblable à eux. Et il chérit cet ancrage-là et à son tour, il va venir modifier le paysage parce qu'il va apprendre avec eux ces gestes du quotidien, s'occuper des animaux, faire les foins, récolter, sculpter le bois. Ce sont des gens qui ne posent pas de question. Au fond, on ne sait pas bien ce qu'ils savent et ce qu'ils ignorent. Il se trouve que la vallée dont je parle a véritablement aidé beaucoup de gens à trouver un refuge. Et c'est aussi une façon de rendre hommage à ces gens de montagne qu'on dit souvent taiseux. Mais le silence a ses vertus, alors ils ont aussi la fonction de l'accompagner dans son apprentissage amoureux, par exemple érotique. Blanche est cette femme qui va d'abord incarner la femme désirable, et puis qui, étant enceinte d'un jeune enfant, va devenir tabou. Mais d'autres personnages vont se présenter. Moinette est une petite fille qui n'est pas sexuée, mais qui désire, elle, un contact physique avec Vincent, Vadim, Vincent et qui incarne déjà le début des émois adolescents. Et puis il y a Olga qui là, est le territoire autorisé, c'est la jeune fille, la jeune femme, qui permet au corps d'éprouver ses premières vraies expériences. Donc il y a ces rites de passage, de toute part dans ces trois saisons-là qui concernent à peu près tous les domaines de l'existence, de l'érotisme, au travail, à l'identité familiale, à l'appartenance à une collectivité.

Philippe Chauveau
Et vous racontez effectivement le passage de l'enfance à l'adolescence à travers ces montagnes. Vous parlez d'un hommage à cette vallée des Alpes que vous connaissez bien. C'est aussi une sorte de déclaration d'amour face à ce paysage qui vous fait grandir ?

Valentine Goby
Oui à ces gens, mais je dois dire que pour moi aussi, c'est une vallée choisie. Ce n'est pas du tout celle que j'ai connue dans mon enfance. Je l'ai choisie pour son extrême isolement, son extrême singularité. Je l'ai choisie pour l'écriture de ce livre et maintenant, j'aimerais bien la choisir aussi pour ma vie. Mais ce n'est pas la vallée de mon enfance, c'est une vallée qui a été le territoire d'un livre.

Philippe Chauveau
En tout cas, c'est un livre magnifique. C'est un beau roman sur l'enfance et sur l'adolescence et puis sur cette période et sur ce paysage. Des pages très poétiques, une écriture magnifique. C'est un vrai coup de cœur pour cette rentrée littéraire. C'est la nouvelle actualité de Valentine Goby. Ça s'appelle L'île haute et vous êtes publiée Valentine aux éditions Actes Sud. Merci beaucoup.

Valentine Goby
Merci à vous.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Née au pays de la lavande, d’un père parfumeur et d’une mère tisserande, Valentine Goby suit ses études à Sciences Po avant de partir quatre ans en Asie avec des associations humanitaires. De retour en France, elle enseigne les lettres en collège et le théâtre et se lance dans l’écriture.Passionnée de littérature, elle publie son premier roman en 2002, chez Gallimard, « La note sensible » salué par la critique. Très vite, la jeune femme se fait un nom auprès des lecteurs mais aussi auprès de ses collègues auteurs...L'île haute de Valentine Goby - Présentation - Suite
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