Baptiste Beaulieu

Baptiste Beaulieu

Celle qu'il attendait

Livre 00'07'32"

Philippe Chauveau :

Voici votre nouveau titre, Baptiste Beaulieu. Celle qu'il attendait. Au départ, on ne sait pas vraiment à quelle époque nous sommes. Nous sommes dans notre époque contemporaine, certes, mais quand précisément, on ne le sait pas. Mais en tout cas, on va faire connaissance avec deux personnages, deux personnages qui vont nous accompagner bien après le point final. Il y a Eugénie, Eugénie D. et puis, il y a Joséphin. Deux personnages cabossés par la vie qui vont se rencontrer alors qu'ils n'auraient jamais dû se croiser. Qui sont-ils, ces deux personnages qui se croisent sur un quai de gare ?

Baptiste Beaulieu :

Ce sont deux êtres un peu lunaires. On a Eugénie qui a un rapport à son corps qui est très compliqué. Il y a Joséphin qui a aussi un rapport compliqué à son corps et un rapport compliqué aux autres aux interactions sociales. Ils vont se croiser sur ce quai de gare et j'avais très, très envie de partir sur un postulat qu'on a vu et revu un millier de fois qui est cet amour au premier regard. C'est ce coup de foudre qu'on on a déjà eu un millier de fois dans la littérature. Et, partant de ce postulat qu'on a déjà vu un millier de fois, raconter une histoire d'amour telle que, à titre personnel, je pense que les lecteurs n'en auraient jamais lu. C'est à dire, déjouer depuis ce postulat, tous les attendus, tous les stéréotypes, tous les préjugés qu'on peut avoir sur ce genre d'histoires. Et que les lecteurs se disent "je connais cette histoire" et puis qu'au fur à mesure de la lecture, ces lecteurs et lectrices se disent "Ah non, ce qui se passe n'est pas du tout ce que j'attendais" et j'avais vraiment envie de ce petit challenge là.

Philippe Chauveau :

Alors, vous faites le choix d'un narrateur, un narrateur qui nous raconte l'histoire et qui vient dire au lecteur "Oui, oui, OK, on a l'impression que c'est une histoire que tu as déjà lu et relu, mais écoute-moi, je vais expliquer pourquoi ce n’est pas une histoire comme les autres". Pourquoi avez-vous besoin de ce narrateur ?

Baptiste Beaulieu :

Vous allez me prendre pour un fou... Quand je suis médecin, je suis seul. Je suis seul avec mes patients. Ce ne sont pas mes collègues, je ne suis pas là pour rire avec eux. Quand j'écris, je suis seul, et du coup, j'ai brisé, comme on dit, le quatrième mur. Je me suis adressé aux lecteurs. Ce n'est pas pour eux que je l'ai fait. C'est parce que j'avais besoin de parler aux gens, de parler aux gens, mais pas comme je parle avec mes patients. D'être une sorte de griot africain sous un arbre qui dit aux gens "Venez, approchez-vous et je vais vous raconter une histoire". On est tous ensemble et on va dans cette histoire, et on y va tous ensemble.

Philippe Chauveau :

Je marche un petit peu sur des œufs parce que je ne veux pas dévoiler trop l'intrigue. Et puis surtout, il y a des informations que le narrateur, en tous les cas, nous donne au fil, au fil des pages. Vous l'avez dit en préambule, tous les deux, Joséphin et Eugénie ont un problème avec la société, avec le regard des autres, pour moultes raisons. Mais finalement, ce problème est-il plus large ? Est-ce que Joséphin et Eugénie ne nous ressemblent-ils pas ?

Baptiste Beaulieu :

Si, le but c'était vraiment, à travers la poésie, parce que c'est un récit très poétique comme ça, très fantaisiste, d'incorporer des éléments de réalité qui choquent un peu les lecteurs et lectrices. C'est à dire qu'en lisant les lecteurs et lectrices se disent "j'ai déjà vécu cette situation, je me reconnais dans cette situation", et la poésie soit un prétexte finalement pour donner des petits uppercuts comme ça aux lecteurs et lectrices et lui permettent de s'identifier à cette histoire.

Philippe Chauveau :

Vous le dites vous-même, chacun peut s'identifier à cette histoire entre Joséphin et Eugénie. Vous écrivez "Réinventer les moments importants de nos vies est une pente naturelle pour l'être humain chez qui l'exile, l'absence ou la séparation n'ont pas été choisies. Le réenchantement semble l'unique moteur capable de remettre en action l'amour pour la vie. La fable personnelle ou l'effondrement, peu d'alternatives." C'est quoi le réenchantement ?

Baptiste Beaulieu :

Le réenchantement ça passe par, et il n'y a rien de péjoratif dans ce terme, par le mensonge qu'on se fait à soi-même régulièrement. Et il n'y a rien de méchant à le faire, mais on le fait tous. Je pense que 90% de nos souvenirs tombent dans des trous. Si je vous demande ce que vous faisiez le 24 mars 1994, vous ne saurez pas. Pareil pour les jours d'avant et les jours d'après. Et donc, 90% de nos vies sont perdus pour toujours. Et donc la violence de ce fait là, nous oblige, je pense, parfois, à embellir certains souvenirs, réenchanter certains souvenirs en se disant "ce n'était pas si terrible ce que j'ai vécu à l'époque où ça ne m'a pas fait si mal que ça", alors que si, bien sûr, ça nous a fait mal, ça nous a blessé. Mais on s'en est sorti. La souffrance d'hier, c'est de l'expérience dont on a tiré pour pouvoir avancer aujourd'hui.

Philippe Chauveau :

Vous faites le choix de la poésie dans votre roman. Vous faites le choix de la fable. Le choix du conte. Alors Joséphin, il fait un métier somme toute basique et n'a rien de péjoratif. Il est chauffeur de taxi, il conduit les gens dans Paris. Eugénie a un autre métier un peu plus surprenant, elle est inventrice.

Baptiste Beaulieu :

Oui, là c'était vraiment ma touche personnelle. J'avais envie de m'éclater. En tant que romancier, j'avais envie de laisser libre cours à mon imaginaire. Et quoi de mieux qu'un personnage qui est un inventeur pour laisser libre cours à son imaginaire ?

Philippe Chauveau :

Vous abordez beaucoup de thèmes grâce à ces deux personnages de Joséphin et d'Eugénie. Les personnes qui ne sont pas comme il faudrait, pas dans la norme, ces personnes qui ont du mal à s'intégrer. C'est un livre plein de poésie, c'est un livre violent aussi, et les dernières pages que nous n'allons pas dévoiler, bien sûr, mais nous ramènent à une triste réalité. Néanmoins, vous avez voulu écrire une histoire très solaire.

Baptiste Beaulieu :

Oui.

Philippe Chauveau :

Et il y a toutes ces images autour de la terre, autour de la glaise, autour de la poterie. Pourquoi avoir ajouté cette connotation à la terre, élément premier.

Baptiste Beaulieu :

Effectivement, je voulais aborder ce thème de la céramique et de la poterie pour différentes raisons. D'abord, c'est parce que c'est un art qui est vraiment au carrefour de l'art brut et de la physique, c'est à dire qu'on travaille avec la terre, évidemment, on travaille aussi avec l'eau. On ne peut pas tourner sans avoir de l'eau. On travaille évidemment avec l'air, parce que l'air est tellement important pour nous permettre de retirer l'eau de la pièce et de la faire sécher. Évidemment, on travaille avec le feu après pour pouvoir faire cuire la pièce. Et donc c'étaient tout autant d'allégories pour raconter un peu le parcours de ces personnages qui vont, à travers cet art qu'est la céramique qui est un art éminemment spirituel, se réparer avec la terre, avec l'eau, avec le feu....

Philippe Chauveau :

Vous êtes déjà sur l'écriture d'un autre titre où après avoir terminé un roman, vous avez besoin d'un petit moment de respiration ? Comment travaillez-vous là-dessus ?

Baptiste Beaulieu :

Avant d'écrire, je riais toujours un peu les romanciers dire "Ça s'est imposé à moi. Cette histoire est arrivée comme ça. Je n'ai pas choisi." Je trouvais ça toujours un peu cliché, et en fait malheureusement, c'est comme ça que ça arrive. Je pensais me reposer après l'écriture de celui-ci. Et puis on est la terrasse d'un café, on ne pense absolument pas à écrire un prochain livre et puis, voilà que les personnages arrivent dans notre tête et qui vont devenir une obsession. C'est à dire que tant que je n'aurai pas écrit leur histoire, ils ne me quitteront plus. Et je me servirai de tout ce que je lis, tout ce que je vois, tout ce que j'entends pour aller piocher dans mon quotidien comme ça et raconter leur histoire.

Philippe Chauveau :

Continuez. Continuez encore longtemps. En tout cas, voilà deux personnages qui vont vous rester en mémoire, deux personnages qui vont vous porter aussi, et tout cela avec une écriture pleine de sensibilité, de poésie. C'est le parcours de Joséphin et d'Eugénie. C'est le nouveau livre de Baptiste Beaulieu, Celle qu'il attendait. Anticiper le bonheur, c'est le vivre deux fois. Ça, c'est une phrase qu'il faut garder en mémoire. Vous êtes publié aux éditions Fayard. Merci beaucoup.

Baptiste Beaulieu :

Merci beaucoup, Philippe.

À la une : Baptiste Beaulieu -
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  • Croiser Baptiste Beaulieu, c’est rencontrer un Pierrot lunaire, un être à part qui vous donne l’impression d’être unique, que vous êtes le seul qui comptez à ces yeux pendant quelques instants. Ce regard sur l’autre, cette attention permanente à ceux qui l’entourent, ce désir d’être utile, voilà sans doute les éléments qui, inconsciemment, ont poussé Baptiste Beaulieu vers la médecine. Mais ce sont aussi, sans aucun doute, ces mêmes éléments qui l’on mené à l’écriture. Médecin généraliste à Toulouse,... de Baptiste Beaulieu - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Baptiste Beaulieu.   Baptiste Beaulieu : Bonjour Philippe.   Philippe Chauveau : Merci d'être avec nous, Celle qu'il attendait, c'est votre nouveau titre aux éditions Fayard. Je crois que c'est votre cinquième livre et quatrième roman puisqu'il y a eu ce premier titre dont on reparlera. Si je fais une présentation rapide, on vous connaît aussi bien en librairie que dans le milieu hospitalier puisque vous êtes médecin généraliste à Toulouse. Et puis, en parallèle, donc, effectivement, vous... de Baptiste Beaulieu - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau : Voici votre nouveau titre, Baptiste Beaulieu. Celle qu'il attendait. Au départ, on ne sait pas vraiment à quelle époque nous sommes. Nous sommes dans notre époque contemporaine, certes, mais quand précisément, on ne le sait pas. Mais en tout cas, on va faire connaissance avec deux personnages, deux personnages qui vont nous accompagner bien après le point final. Il y a Eugénie, Eugénie D. et puis, il y a Joséphin. Deux personnages cabossés par la vie qui vont se rencontrer alors qu'ils n'auraient jamais dû... de Baptiste Beaulieu - Livre - Suite