Yoan Smadja

Yoan Smadja

J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi

Livre 00'08'22"

Philippe Chauveau : Avec ce qui est donc votre premier roman Yoan Smadja, vous nous emmenez au Rwanda. Je laisse de côté les toutes premières pages mais le sujet c'est vraiment le Rwanda de 1994 avec trois personnages clés. Il y a Sacha, une journaliste reporter. Elle a bourlingué un peu partout dans le monde. Et puis on l'envoie en Afrique du Sud parce qu'il y a des élections qui se préparent. Mais lorsqu'elle est là-bas au printemps 1994, elle se rend compte qu'il se trame aussi des choses un peu surprenantes au Rwanda et en quelques kilomètres elle se retrouve là-bas. Et puis, nous allons aussi faire connaissance avec Daniel et Rose. Ils ont la chance de vivre tout près de l'ambassade de France puisque la famille de Rose y travaille depuis plusieurs années. Daniel, quant à lui, est médecin. Ces trois personnages vont être embarqués dans cette monstruosité qu'ont été les événements de Kigali et du Rwanda. Quelle est la genèse du roman ? Pourquoi cette envie d'écrire sur cette sur cette urgence ?

Yoan Smadja : Je pense qu’au-delà évidemment du voyage que j'ai fait au Rwanda et des rencontres que nous y avons faites avec des survivants, je crois que c'est l'idée qu'un lien peut finalement exister entre les êtres, qu'ils se trouvent en France, en Europe ou au Rwanda, comme une sorte de solidarité. Les mots sont un peu grandiloquents en la matière mais c’est cette sorte de solidarité invisible, le fait de se sentir concerné par des événements qui se passent finalement loin de chez, qui m'ont donné envie d'écrire.

Philippe Chauveau : La force de votre roman, c'est que nous sommes vraiment dans les évènements. Vous avez su en retranscrire la chronologie. Vous avez su nous repositionner dans le contexte mais cela reste un roman avec ces personnages que vous avez créés et une véritable intrigue. On s'attache à eux, on veut vraiment savoir quelle sera leur course effrénée pour se sortir de cette de ces bouleversements. Petite présentation de Sacha. Sacha, en 2015, au moment où démarre le roman, a décidé de changer de vie. Elle est maintenant critique gastronomique, justement parce qu'elle a eu besoin de se sortir de ce métier de reporter de guerre qu'elle était auparavant. Qui est-elle Sacha ?

Yoan Smadja : Sacha est une journaliste embarquée dans le métier de grand reporter. Elle est comme vous le disiez, propulsé dans le bouleversement des premiers jours du génocide. Mais on comprend dès le début du livre qu'elle a dû se sortir de ce métier de journaliste après les événements du Rwanda, à la recherche de davantage de douceur. C'est la raison pour laquelle elle s'est reconvertie dans la critique gastronomique.

Philippe Chauveau : Finalement, Sacha se pensait assez costaude, assez forte. Mais les événements auxquels elle va être confrontée vont faire vaciller ses certitudes. C'est un beau portrait de femme. Vous parlez aussi du métier de journaliste, de reporter de guerre et de ces convictions qui peuvent vaciller face à la réalité…

Yoan Smadja : Oui c'est un hommage d'abord aux journalistes, à tous ceux qui exercent ce métier. Je crois que nous avons beaucoup de chance, en France, en Europe et dans les grandes démocraties occidentales et parfois on ne s'en rend pas suffisamment compte. Nous pouvons compter sur des journalistes parfois prêts à risquer leur vie pour nous raconter ce qui se trame aux quatre coins du monde. C'est un hommage à ces personnes-là et effectivement, Sacha est un un roc mais un roc qui va être ébranlé par ce qu'elle va voir au Rwanda. Je tiens à préciser que j'ai tenté de ne pas faire de voyeurisme. J'ai tenté de ne pas faire un livre trop violent. Je crois qu'on y trouve pas trop de violence. Je tente, en tout cas, de mieux faire passer l'idée du bouleversement total que celui de la violence pure.

Philippe Chauveau : Au cours de son périple au Rwanda, Sacha va croiser le chemin de Daniel. Il est médecin, il est originaire du Rwanda, il est marié à Rose et ensemble, ils ont eu un petit garçon prénommé Joseph. Ils habitent juste à côté de l'ambassade de France. Il y a de très beaux passages d'ailleurs parce qu'il y a une vraie relation avec l'ambassadeur et sa famille même si, là encore, les choses vont vaciller, les certitudes vont être bouleversées. Présentez-nous en quelques mots le couple que forme que forment Daniel et Rose. L’écriture est importante dans ce couple.

Yoan Smadja : Daniel est un médecin qui travaille dans les rangs du Front patriotique rwandais, c'est à dire qu'il est le médecin particulier de Paul Kagamé qui était à l'époque le dirigeant du Front patriotique rwandais et aujourd'hui le président du Rwanda. Donc, Daniel est très absent du foyer familial. Le deuxième personnage féminin principal de ce roman après, ou même avant Sacha, je ne sais pas, est une femme qui s'appelle Rose. L'épouse de Daniel est muette de naissance. Sa famille est au service de l'ambassade de France. En fait, on va suivre tout d'abord la jeunesse de Rose dans cette ambassade, la découverte de son handicap car finalement, on met du temps à comprendre qu'on est pas tout à fait comme les autres. Puis, il y a le plaisir de l'écriture, de la lecture car Rose se met à écrire à son mari de manière régulière, évidemment pour communiquer avec lui mais aussi pour combler son absence. Je dirais que c'est une sorte de roman d'amour, en tout cas d'amour familial, au sein du chaos de 1994.

Philippe Chauveau : Il y a une histoire d'amour familiale, des remises en question pour Sacha notre journaliste reporter mais c'est aussi un roman sur la géopolitique. Parfois, il y a le romancier qui, par la plume, nous fait prendre conscience de certaines choses. Vous écrivez par exemple : « La démocratie est un édifice fragile qui, comme l'amour, n'atteint jamais au statut de réalité évidente et pérenne mais repose sur des fondations qu'il s'agit d'entretenir par le renouvellement fastidieux des preuves de démocratie que sont le vote, le contrôle de constitutionnalité, la séparation des pouvoirs la liberté et la presse ». En tant que romancier, et en tant que citoyen tout simplement, êtes-vous inquiet du monde dans lequel nous évoluons aujourd'hui, à l'image de ce qui a pu se passer au Rwanda en quelques semaines ?

Yoan Smadja : L'Europe vit depuis 70 ans en paix. C'est une période qui me semble assez inédite à travers l'histoire quand on y regarde bien. Ce qui m'inquiète le plus, ce sont les certitudes établies. C’est vrai que c'est une banalité de dire que l'homme est un loup pour l'homme. Mais je crois qu'il faut ne pas oublier qu'il en est capable. Le fait que nous vivions en paix, même avec nos difficultés économiques et sociales et toutes les crises qui traversent le continent, ne doit pas nous faire oublier que chez nous, ou ailleurs, le chaos peut advenir.

Philippe Chauveau : « Aujourd'hui que j'écris ces lignes, je me dis que peut-être, enfin, tu vas venir, me tendre la main et me laisser dormir, plonger mon visage au creux de ton bras et rêver. Je ne rêve que de rêver au creux de tes bras. Petite, je voulais une vie extraordinaire. Aujourd'hui, je veux seulement une vie ». Il y a des livres qui, dans une vie, sont des marqueurs, des livres que l'on découvre et qui restent quelque part dans notre inconscient et nous font grandir. Ce livre en fait partie. Ce premier roman est un livre bouleversant qui parle d'une histoire que nous, Européens, avons peut-être tendance à oublier, à chercher à oublier. C'est un livre magnifique que je vous recommande vivement. Le premier roman de Yoan Smadja, « J'ai cru qu'il enlevait toute trace de toi » est publié chez Belfond. Merci beaucoup.

J'ai cru qu'ils enlevaient toute trace de toi Belfond
  • PRÉSENTATION
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  • LIVRE
  • Il y a des livres qui sont comme des rencontres, des livres qui vous élèvent, vous émeuvent, vous ouvrent les yeux, des livres qui restent en vous bien après avoir lu la dernière page. Le livre de Yoan Smadja fait partie de ces livres. Retenez ce joli titre « J’ai cru qu’ils enlevaient toute trace de toi ».C’est un premier roman, mais quelle réussite. Pourtant, rien ne prédestinait Yoan Smadja à prendre la plume. Naviguant entre la France et Israël, Yoan Smadja a travaillé dans une ONG avant d’avoir aujourd’hui une...1ère édition ! d'Yoan Smadja - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Yoan Smadja. Vous êtes dans l'actualité avec ce livre publié chez Belfond « J'ai cru qu'il enlevait toute trace de toi ». C'est votre premier roman, un roman dont on parle beaucoup. Un roman fort qui nous emmène au Rwanda en 1994. On va y revenir bien sûr mais faisons un petit peu plus connaissance. Vous êtes né en France, il y a quelques années maintenant. Vous êtes aujourd'hui et depuis plusieurs années maintenant installé en Israël mais vous faites régulièrement la navette entre les deux...1ère édition ! d'Yoan Smadja - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau : Avec ce qui est donc votre premier roman Yoan Smadja, vous nous emmenez au Rwanda. Je laisse de côté les toutes premières pages mais le sujet c'est vraiment le Rwanda de 1994 avec trois personnages clés. Il y a Sacha, une journaliste reporter. Elle a bourlingué un peu partout dans le monde. Et puis on l'envoie en Afrique du Sud parce qu'il y a des élections qui se préparent. Mais lorsqu'elle est là-bas au printemps 1994, elle se rend compte qu'il se trame aussi des choses un peu surprenantes au Rwanda et en...1ère édition ! d'Yoan Smadja - Livre - Suite