Marie-Hélène Lafon

Marie-Hélène Lafon

Les sources

Portrait 00'08'19"

Philippe
Bonjour Marie-Hélène Lafon.

Marie-Hélène Lafon.
Bonjour Philippe Chauveau.

Philippe
Les Sources, c'est votre dixième titre, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Je suis ravie de vous accueillir. J'ai l'impression que vous avez chanté toute la nuit. Vous avez une petite voix qui est un peu partie, mais c'est parce que vous passez beaucoup en interview en ce moment.

Marie-Hélène Lafon
C'est parce que je fais beaucoup cours à mes élèves.

Philippe
Aussi, aussi, justement on va parler de ça parce que vous avez cette double casquette Marie-Hélène. Il y a la romancière que l'on connaît. Mais c'est vrai que vous n'avez jamais eu envie de lâcher l'enseignement puisque depuis très longtemps, il y a chez vous ce goût de l'apprentissage, de la transmission. Pourquoi, alors que les maisons d'édition vous ouvrent leurs bras, pourquoi garder ce contact avec les élèves ?

Marie-Hélène Lafon
Parce que c'est probablement un goût que j'ai du terrain et un goût que j'ai de la nécessité d'être à l'endroit où je suis quand j'enseigne à mes élèves le rude rudiment, c'est à dire la langue, c'est à dire la littérature, c'est à dire le sens même des mots, des choses. Il me semble que c'est un métier absolument fondamental.

Philippe
Il y a t il justement un auteur emblématique qui vous a donné vous même envie de prendre la plume ? Y a t il eu aussi un enseignant emblématique qui vous a donné envie d'être vous aussi un outil de transmission ?

Marie-Hélène Lafon
Deux auteurs emblématiques, un mort et un vivant. Gustave Flaubert, Pierre Michon. Et, bien entendu, je l'appelle encore le maître d'école. Monsieur Brunet, 90 ans, bon pied bon oeil dans la vallée de la Santoire, qui fut mon maître d'école en CM2, CM1, CE2. Et la bonne personne au bon endroit, le bon aiguillage.

Philippe
Lorsque vous parlez de votre travail d'écriture Marie-Hélène Lafon, et c'est vrai que c'est la romancière que nous recevons aujourd'hui, il y a des mots qui reviennent très souvent. C'est chantier, transmission, tous ces mots, artisanat aussi. Comme si vous aviez les mains dans la glaise à chaque fois. C'est ça pour vous, la définition de l'écriture ?

Marie-Hélène Lafon
Je dis que je suis une travailleuse du verbe. J'ai les mains dans la viande verbale. L'étymologie de viande, ça vient du latin vivenda, c'est ce qui sert à vivre. Donc nous y sommes, aussi bien d'ailleurs du côté du métier de professeur que du côté du travail d'écriture. La langue, c'est le pays que j'habite, c'est mon terreau essentiel. Et écrire, c'est malaxer la langue. Donc c'est extrêmement physique, c'est extrêmement artisanal oui, en effet, je ne suis pas traversée par une inspiration. Je m'assieds à ma table et je travaille.

Philippe
Et pourquoi cette envie de la transmission, du partage ? Parce que ce goût pour la langue et les mots, vous auriez pu les garder pour vous ?

Marie-Hélène Lafon
Je me suis sentie tellement à ma place dans l'école, ça a été tellement pour moi. Un lieu qui donnait sens aux choses que probablement, je me suis dit, enfin je me le suis même pas dit ce n'était pas conscient, mais c'eût été dommage de ne pas le partager.

Philippe
Et c'est le même procédé en ce qui concerne la transmission vers les lecteurs, ça procède de la même chose.

Marie-Hélène Lafon
C'est une question que je ne me suis jamais posée, surtout pas avant de commencer à publier. Et quand j'ai commencé à publier très vite, très très vite, deux mois après, j'ai été invitée en librairie. Je n'allais jamais à des rencontres en librairie avec des écrivains vivants avant de publier. Pourtant j'avais 39 ans quand j'ai publié mon premier livre, donc je n'avais pas du tout conscience de cet usage. Et quand j'ai commencé à le faire à la librairie Point Virgule à Aurillac, Cantal, début novembre 2001, je me suis rendu compte que ça me plaisait, qu'il y avait vraiment quelque chose qui se passait sur le terrain. Là aussi.

Philippe
Une question qui s'adresse autant à la romancière qu'à la professeur. Lorsque vous voyez, en tout cas, ce sont les chiffres qui le disent, lorsque vous voyez le niveau des élèves qui baissent, notamment en français, lorsque vous voyez un ministre qui dit qu'il faut remettre la dictée au goût du jour, lorsque vous voyez les jeunes qui délaissent le livre papier pour leur téléphone. Quel regard portez vous là dessus ? Et êtes vous un peu désabusée ? Vous dites-t-il qu'il faut continuer à mener le combat. Ça vous inspire quoi ?

Marie-Hélène Lafon
Je suis sur le terrain, moi, et j'ai des élèves plusieurs heures par semaine. Des élèves de quatorze ans en face de moi et sur le terrain, ça continue, ç'est-à-dire quelque chose se passe avec eux, quelque chose se transmet avec eux. À mon avis, ce qu'il y a de mieux, nettement, de plus riche et de plus tant dans l'Education nationale, ce sont les élèves. J'insiste.

Philippe
Message d'espoir alors néanmoins, derrière tout ça.

Marie-Hélène Lafon
L'espoir il faut le garder, sinon on devient amère et on fait ce métier à reculons, auquel cas il vaut mieux ne plus faire du tout.

Philippe
Vous êtes aujourd'hui installée à Paris et pourtant, depuis votre premier titre en 2001, vous ne cessez de nous emmener et de vous ramener aussi sur les terres de votre enfance, le Cantal notamment. Pourquoi ce besoin de revenir sur ces terres là en terme de littérature ?

Marie-Hélène Lafon
Vous savez, je cite volontiers cette phrase très courte de Robert Bresson, le cinéaste, dans Notes sur le cinématographe. Il écrit, "Ne glisse pas ailleurs, creuse sur place". Il se trouve que, un peu à tâtons, j'ai placé cette phrase en exergue d'un livre que j'ai publié en 2002, c'est à dire tout à fait au début. Un livre de nouvelles, "Liturgie" dans lequel se trouve le tout premier texte que j'ai écrit. Donc vous voyez au fond, instinctivement, j'ai toujours senti que le lieu et le milieu d'où je venais était un terreau inépuisable.

Philippe
Alors voilà, on le disait, chacun se retrouve dans ses histoires, chacun peut se les approprier. Il y a des sujets qui sont forts, il y a des ambiances, des paysages qui sont des personnages à part entière. Et puis après, il y a cette richesse de la langue et c'est vrai que vos pages sont à la fois de la poésie, et puis parfois aussi, ce sont des grandes claques que vous nous donnez par la force des mots. Tout cela semble tellement fluide. Tout cela semble tellement facile, tellement simple. Et pourtant, j'ai l'impression pour vous, à chaque fois, c'est une difficulté supplémentaire, comme s'il y avait une appréhension à chaque fois que vous écrivez un nouveau roman.

Marie-Hélène Lafon
Alors quand j'ouvre un chantier, tout se passe comme si je n'avais jamais écrit une ligne de ma vie.

Philippe
Et vous avez peur de ça ?

Marie-Hélène Lafonv
Oui, bien sûr. Je veux dire, quand j'ouvre un chantier, il y a à la fois l'excitation du chantier et l'angoisse de n'être pas à la hauteur de ce chantier. Comme si je n'avais jamais rien écrit, comme si je n'étais adossé à rien. Bon, je crois que quand je perdrais ce vertige là, j'aurais perdu beaucoup. Pour l'instant, il est intact le vertige. Et le chantier des sources a été à cet égard plus rude que tous les précédents.

Philippe
On parlait justement de c'est de ces histoires que chaque lecteur peut s'approprier. D'ou viennent elles, ces histoires ? On sait par exemple que dans votre précédent titre, c'était une histoire qui était très proche de votre famille. Mais est ce que parfois, lors des rencontres avec les lecteurs, on vous vous confie aussi des histoires qui pourraient devenir des romans ?

Marie-Hélène Lafon
Alors évidemment. Et ça, ce que vous dites peut arriver, bien sûr. Ou des motifs, ou des détails, ou une phrase. Vous voyez, quelqu'un va dire une phrase que je ne vais évidemment pas noter. Je ne note jamais rien, mais je vais retenir. Et par ailleurs, vous savez, dans les familles, dans les villages, on n'a qu'à se pencher pour les ramasser les histoires. Des pistes d'histoires, ils en partent constamment, de tous les côtés. Le réel est infiniment plus démentiel que tout ce que je ne pourrais jamais imaginer moi. D'ailleurs je n'imagine jamais rien. Je me contente de m'enfoncer dans le maquis du réel et j'élague. Toujours je l'élague. Parce que si je gardais tout ce que le réel offre d'inextricables réseaux luxuriants, moi même, j'aurais l'impression de délirer complètement. C'est le réel qui est délirant, c'est le réel qui sort de ses gonds tout le temps.

Philippe
Si d'un mot vous deviez définir votre écriture, Marie-Hélène Lafon.

Marie-Hélène Lafon
Un feu.

Philippe
Un feu que vous faites pétiller avec ce nouveau titre. C'est le dixième titre de votre bibliographie, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Ça s'appelle Les Sources.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Voilà déjà plus de vingt ans que Marie-Hélène Lafon s’est fait un nom en librairie. En 2021, avec « Le soir du chien », pour lequel elle obtient le Renaudot des Lycéens, on découvrait une écriture et un style qui depuis ont fait la marque de fabrique de Marie-Hélène Lafon. C’est à dessein que j’emploie ce terme de ‘marque de fabrique’ car elle le reconnait, pour elle, chaque livre est un nouveau chantier et elle glisse ses doigts dans les mots et la syntaxe comme un potier met les mains dans la glaise. Depuis ce...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Présentation - Suite
    PhilippeBonjour Marie-Hélène Lafon. Marie-Hélène Lafon.Bonjour Philippe Chauveau. PhilippeLes Sources, c'est votre dixième titre, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Je suis ravie de vous accueillir. J'ai l'impression que vous avez chanté toute la nuit. Vous avez une petite voix qui est un peu partie, mais c'est parce que vous passez beaucoup en interview en ce moment. Marie-Hélène LafonC'est parce que je fais beaucoup cours à mes élèves. PhilippeAussi, aussi, justement on va parler de ça parce que vous avez cette double...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Portrait - Suite
    PhilippeUn titre qui claque, un titre qui sonne, Les sources. On reviendra sur ce titre parce qu'il n'est pas anodin. Et puis il y a ce bandeau que votre éditeur a choisi de mettre sur la couverture. C'est votre dixième roman Marie-Hélène Lafon. C'est un livre qui va se décliner en trois parties. Trois dimanche trois week end, 1967 1974 et puis de nos jours, on va découvrir une famille. Une famille où en apparence, tout pourrait sembler aller bien, mais en fait, on va voir que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a trois...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Livre - Suite