Marie-Hélène Lafon

Marie-Hélène Lafon

Les sources

Livre 00'08'45"

Philippe
Un titre qui claque, un titre qui sonne, Les sources. On reviendra sur ce titre parce qu'il n'est pas anodin. Et puis il y a ce bandeau que votre éditeur a choisi de mettre sur la couverture. C'est votre dixième roman Marie-Hélène Lafon. C'est un livre qui va se décliner en trois parties. Trois dimanche trois week end, 1967 1974 et puis de nos jours, on va découvrir une famille. Une famille où en apparence, tout pourrait sembler aller bien, mais en fait, on va voir que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a trois enfants Gilles, Claire, Isabelle et puis il y a le père et la mère dont on ne connaîtra pas les prénoms. Qui est elle, cette famille ? Et pourquoi faire démarrer ce roman en 1967.

Marie-Hélène Lafon
Alors ça, quand j'ai ouvert ce chantier fin février 2022, la date, c'est à dire 10 et 11 juin 1967, s'est imposée d'emblée. Je voulais un week end de juin parce que les longs soirs de juin, donc 10 11 juin 67, je suis allé vérifier que c'était bien un samedi et un dimanche, il me fallait un samedi, un dimanche voilà. C'est seulement après coup que je me suis rendu compte que c'était la semaine de la guerre des Six Jours. Que je n'avais pas du tout anticipé, je m'en suis rendu compte ensuite. Il me fallait 67 parce qu'on était dans les prémisses, on était dans l'avant 68. 68 n'était pas encore passé par là. Ensuite, 68 va passer par là, on va en entendre les échos dans la deuxième partie.

Philippe
Alors vous le dites, nous sommes en juin, c'est un dimanche, c'est un week end et tout pourrait être très serein dans la cour de cette ferme. Mais très vite, on va comprendre qu'il y a quelque chose. Il y a une tension qui est palpable. Le père et la mère se sont mariés en décembre 59. Très vite, il y a eu les trois enfants. Mariage plus ou moins de circonstance, parce qu'on va apprendre que le père, lui, il a peut être eu d'autres envies lorsqu'il était soldat au Maroc, il a une autre femme. Ce sont des petits détails qui vont être glissés au fil du récit. Un mariage qui n'aurait peut être jamais dû avoir lieu.

Marie-Hélène Lafon
Un aiguillage, mariage et aiguillage, ça rime. Donc un aiguillage, en effet, peut être fâcheux. En tout cas, elle, il lui arrive de rembobine le fil de sa vie et d'oser s'avouer que sa vie eut sans doute été meilleure si cet aiguillage là n'avait pas été pris. Sauf que maintenant, le verbe visser revient à plusieurs reprises. Elle se sent vissée là parce qu'il y a les trois enfants. Ça, c'est fondamental. Ils apparaissent d'ailleurs dès la première page, les trois enfants.

Philippe
Et ils sentent bien qu'il y a quelque chose qui cloche.

Marie-Hélène Lafon
Ils sont complètement traversés par la peur.

Philippe
Et vous, vous l'avez rappelé, nous sommes en 1967. Ce qui veut dire que, parce que là cette femme, elle pourrait très bien faire sa valise et puis partir. Mais non, parce qu'à cette époque là, ce n'est pas si facile que ça, même si aujourd'hui ce n'est encore pas facile, mais encore moins à cette période. Et puis surtout, il y a les terres, bien sûr, ce que la ferme a été acheté en commun. Et puis il y a le "qu'en dira-t-on ?" dans les hameaux voisins ?

Marie-Hélène Lafon
Bien entendu.

Philippe
Et c'est pour ça que la mère se sent pieds et poings liés.

Marie-Hélène Lafon
Voilà, vous avez tout à fait raison de le souligner. On est à une époque et dans un milieu où on ne divorce pas. Le divorce c'est l'infamie la plus totale, on a un peu de mal à l'envisager aujourd'hui ça. Je ne dis pas qu'aujourd'hui ce soit facile à prendre ce genre de décision, mais à cette époque là ça l'était encore beaucoup moins. Surtout pour une femme comme celle là dont les catégories mentales sont celles de son milieu. C'est à dire, on est l'épouse d'un paysan, on possède une ferme, on est prospère. De surcroît, elle conduit sa voiture, ce qui est un indice de modernité. Toutes les femmes à cette époque là, dans ce milieu, n'ont pas leur permis de conduire.

Philippe
Ce qui ce qui lui donne une image lorsqu'elle va au village.

Marie-Hélène Lafon
Voilà. D'ailleurs cette image au fond est à peu près la dernière chose à laquelle elle se rattache en quelque sorte. Narcissiquement, elle a besoin de donner cette image d'elle même. La propriétaire d'une ferme qui conduit sa voiture avec ses enfants bien habillés dans la voiture et qui va à la messe avec eux. Ça, c'est la version officielle. La version officieuse est beaucoup moins satisfaisante.

Philippe
Bien différente. Il y a toutes ces questions qui reviennent et puis très vite, on va aussi bien comprendre qu'il se passe des choses inavouables dans ce couple, qu'il y a cette violence, une violence physique qui n'est pas montrée forcément dans le roman. Mais on sent qu'elle est là quelque part.

Marie-Hélène Lafon
Oui, on sent qu'elle est là, on sent qu'elle est innommable au sens propre du terme. Elle s'accompagne d'une grande violence verbale qui elle, est toujours là.

Philippe
Il y a cette première partie qui est la plus importante dans votre écriture du roman. Et puis après, on va passer en 1974. Alors autant dans la première partie, on nous parlait de la mère. 1974, c'est le père là, on nous raconte le père.

Marie-Hélène Lafon
C'est le flux de conscience du père.

Philippe
Le père qui se retrouve tout seul dans sa ferme parce qu'on comprend qu'il y a eu séparation et divorce, que les enfants ont grandi. Et puis le père qui ressasse toujours, qui ressasse, qui ressasse. Parce que lui, finalement, il n'a peut être pas compris ce qui lui était arrivé. Il s'est pas remis en question !

Marie-Hélène Lafon
À pas du tout. Alors ça, absolument pas.

Philippe
C'est son orgueil. Surtout qui en a pris un coup.

Marie-Hélène Lafon
Absolument. Son orgueil lui tient lieu de tout. Et la raison essentielle pour laquelle, vous avez bien indiqué tout à l'heure qu'il a probablement aimé une autre femme pendant son long temps de service militaire au Maroc. Les raisons pour lesquelles il est rentré du Maroc, c'est parce que même s'il a beaucoup aimé le service militaire, il a compris que dans l'armée, il ne serait jamais son propre chef. Tandis que dans sa ferme, il serait son maître, croyait il, voilà. Et en l'occurrence aussi le maître de sa chose qui était sa femme. Sa chose lui à échappée. En menant les enfants, il s'est adapté, mais il ne se remet absolument pas en question, en effet. Peut être que se remettre en question serait impossible. C'est l'impossible trou noir, c'est à dire qu'il exploserait en plein vol s'il veut rester en face de lui même et continuer à tenir debout, il ne peut pas se remettre en question.

Philippe
C'est la deuxième partie. Je le disais, la première partie est assez, assez conséquente, la deuxième est un peu plus courte. Et puis il y a une troisième partie qui est très courte, mais qui finalement est peut être aussi celle qui est la plus lumineuse. C'est celle des enfants, parce qu'il y a un moment, voilà, le temps a passé, les protagonistes ne sont plus là pour certains, il faut fermer la maison. On vend la maison mais les souvenirs sont toujours là et ce sont les sources. Les sources que l'on peut associer aux racines. Mais c'est vrai que vous, vous préférez ce terme de source. Ce troisième chapitre, comment l'avez vous écrit ? Parce que vous auriez pu imaginer deux fins.

Marie-Hélène Lafon
Vous voyez, mon éditrice, c'est la dédicataire de ce livre a été extrêmement présente. C'est elle qui, après avoir lu la première partie, m'a dit : "Marie Hélène, il faut faire entendre la voix du père". J'ai compris qu'elle avait raison, j'ai pas discuté un seul moment, j'ai écrit la deuxième partie. Et après avoir lu la deuxième partie, elle m'a dit : "Marie-Hélène, il nous faudrait une closure", m'a t elle dit. Il m'est apparu immédiatement qu'il fallait que l'un des enfants, j'ai presque envie de dire, tire son épingle. Qu'est ce qu'il en reste ? Évidemment qu'il en reste des images terribles. Il en reste de douleurs inextinguibles. Il en reste certainement des cicatrices. Mais ce n'est pas ça que Claire choisit d'emporter. Elle choisit d'emporter la lumière et la douceur.

Philippe
Vous m'aviez confié que ce livre avait peut être été l'un des plus rudes à écrire. Pourquoi ? Parce qu'on retrouve des thèmes qui vous sont chers la famille dans ce Cantal que vous connaissez bien, la difficulté des relations, les déchirures familiales. Pourquoi ce texte là a-t-il été plus âpre ?

Marie-Hélène Lafon
Parce que il répondait à une nécessité absolument impérieuse qui a fait exploser en plein vol le livre qui était prévu. Ce n'est pas du tout ce que je devais publier. C'etait un livre de nouvelles qui était quasiment prêt et dont il m'est apparu qu'il ne m'était absolument pas nécessaire. Enfin, il m'est apparu que le livre qu'il était nécessaire d'écrire, c'était ça, c'est à dire remonter à ces sources là, même si elles sont brûlantes et donner forme. Donner forme, ça donne sens voilà. Et donc le chantier du livre de nouvelles ayant été complètement atomisé, je me suis mise en face de ça et avec un sentiment de nécessité absolue. Soit j'arrivais à écrire ça et à donner forme, soit j'écrivais plus.

Philippe
Et le livre est là, c'est le dixième titre de votre bibliographie et c'est une c'est une réussite parce qu'on retrouve la sensibilité de votre écriture. Et puis il y a ce sujet rude dont chacun pourra s'emparer et mettre en parallèle de sa propre histoire. C'est une petite merveille que ce livre Marie-Hélène Lafon, Les Sources, c'est aux éditions Buchet Chastel. Merci beaucoup à vous.

Marie-Hélène Lafon
Merci.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Voilà déjà plus de vingt ans que Marie-Hélène Lafon s’est fait un nom en librairie. En 2021, avec « Le soir du chien », pour lequel elle obtient le Renaudot des Lycéens, on découvrait une écriture et un style qui depuis ont fait la marque de fabrique de Marie-Hélène Lafon. C’est à dessein que j’emploie ce terme de ‘marque de fabrique’ car elle le reconnait, pour elle, chaque livre est un nouveau chantier et elle glisse ses doigts dans les mots et la syntaxe comme un potier met les mains dans la glaise. Depuis ce...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Présentation - Suite
    PhilippeBonjour Marie-Hélène Lafon. Marie-Hélène Lafon.Bonjour Philippe Chauveau. PhilippeLes Sources, c'est votre dixième titre, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Je suis ravie de vous accueillir. J'ai l'impression que vous avez chanté toute la nuit. Vous avez une petite voix qui est un peu partie, mais c'est parce que vous passez beaucoup en interview en ce moment. Marie-Hélène LafonC'est parce que je fais beaucoup cours à mes élèves. PhilippeAussi, aussi, justement on va parler de ça parce que vous avez cette double...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Portrait - Suite
    PhilippeUn titre qui claque, un titre qui sonne, Les sources. On reviendra sur ce titre parce qu'il n'est pas anodin. Et puis il y a ce bandeau que votre éditeur a choisi de mettre sur la couverture. C'est votre dixième roman Marie-Hélène Lafon. C'est un livre qui va se décliner en trois parties. Trois dimanche trois week end, 1967 1974 et puis de nos jours, on va découvrir une famille. Une famille où en apparence, tout pourrait sembler aller bien, mais en fait, on va voir que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a trois...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Livre - Suite