Alexandre Postel

Alexandre Postel

Un automne de Flaubert

Livre 00'08'11"

Philippe Chauveau
Dans ce qui est votre quatrième roman, Alexandre Postel, nous retrouvons ce personnage de Flaubert. On sent que vous l'aimez beaucoup. Flaubert. Avec ses failles, ses complexités. Il n'a pas le moral, Flaubert lorsqu'on le retrouve, il décide de partir à Concarneau, de quitter la Normandie où ça ne se passe pas bien avec sa nièce et son époux. Il choisit de rejoindre Concarneau. Comment est-elle née, cette histoire ? Pourquoi vous êtes vous intéressé à ce moment précis de la vie de Flaubert ?

Alexandre Postel
D'abord, vous l'avez rappelé parce qu'il y avait pour ce personnage, pour cette personne de Flaubert, une sorte d'affection et d'admiration que j'avais envie d'exprimer d'une certaine manière. Mais alors, pourquoi plus précisément en parler comme ça et sous cette forme, et à travers cet épisode ou cet incident de son existence, qui est somme toute un incident assez mineur, ce n'est pas un des grands moments de la vie de Flaubert. Ce qui m'a attiré là, c'est ce désir d'aller à Concarneau. Pourquoi est-ce qu'il a choisi d'aller là bas ? C'est quelqu'un qui voyage assez peu ou alors qui est soit à Croisset en Normandie ou bien à Paris. Enfin, il a cette sorte de vie partagée entre les deux, entre la capitale et sa retraite, près de Rouen. Mais ce désir d'aller finalement se guérir à Concarneau, ressusciter à Concarneau. Je trouvais qu'il y avait là un mystère, en fait, et en même temps, quelque chose qui me parlait tout à l'heure de la notion de rêverie, voilà quelque chose qui suscitait un peu ma rêverie.

Philippe Chauveau
Vous partez d'un fait authentique, parce qu'il l'a effectivement fait ce séjour à Concarneau. Et puis ensuite, vous allez quand même un peu broder. Alors certes, il va rencontrer sur place des personnages authentiques. Mais il y a aussi l'imagination du romancier que vous êtes.

Alexandre Postel
Bien sûr, je m'inspire effectivement de manière assez précise de ce qui s'est passé. Il est vraiment allé passer l'automne à Concarneau. C'est avéré aussi qu'il était là bas en compagnie d'un savant naturaliste, Georges Pouchet, dont on reparlera. Cependant, il m'a semblé qu'il y avait là, dans cet épisode, finalement tout à fait réel de sa vie, derrière la platitude, qu'il y avait quelque chose d'encore une fois... Qu'il y avait matière à une forme d'élaboration, presque de légende. Il y avait quelque chose de plus général qui relève du besoin d'aller voir la mer. D'abord, qu'est ce que ça fait ? Pourquoi ça nous touche comme ça. Et puis aussi de cette fréquentation, cette relation avec le scientifique, entre l'écrivain et le scientifique.

Philippe Chauveau
Des relations avec des scientifiques, Pouchet et Pelletier, en l'occurrence, sur lesquels on reviendra, et puis aussi d'autres personnages qu'il va côtoyer, comme cette petite bonne dont il va se prendre d'affection. Et puis, face à ce quotidien assez banal de ces quelques jours en bord de mer en Bretagne, il y a aussi l'auteur qui a envie de reprendre la plume qui, on l'a dit au début, est assez mélancolique. Et puis, qui va peut)être renaître de ses cendres, tel le Phénix et qui va envisager l'écriture d'un conte médiéval.

Alexandre Postel
Oui. Il n'a même aucune intention de reprendre la plume, puisque vraiment, il précise d'ailleurs dans une lettre qu'il n'emporte pas de papier, qu'il n'emporte rien et qu'il a juste envie de mener une petite vie abrutissante. C'est comme ça qu'il le présente, c'est-à-dire, en gros, une vie de vacances, là où il passe son temps à dormir d'abord, à se promener au bord de la mer, à manger des fruits de mer, des homards. J'essaie de me demander pourquoi précisément là, dans ce contexte et dans cette compagnie, avait surgi en lui le désir d'écrire ce conte médiéval, la légende de saint Julien l'Hospitalier, qui raconte l'histoire d'un enfant cruel et dont la cruauté se mesure au nombre d'animaux qu'il tue, à sa violence envers les animaux.

Philippe Chauveau
Et donc, vous imaginez que c'est dans ce paysage breton que l'inspiration va lui revenir. On le disait, il y a deux personnages qui sont importants dans les rencontres qu'il va faire. Il y a ces deux hommes, ces deux spécialistes que sont Pouchet et Pelletier. Qui sont-ils ? Et ces rencontres sont-elles avérées ?

Alexandre Postel
Alors oui, les rencontres sont avérées. Ce sont deux naturalistes, Pouchet est au Muséum, en fait un fonctionnaire du Muséum d'histoire naturelle à Paris. Il est détaché à Concarneau, où il dirige la station marine, la station de biologie marine de Concarneau. Puisque le dix-neuvième siècle voit l'essor de cette nouvelle science, cette nouvelle discipline, la biologie marine, qui va s'intéresser aux animaux, aux bêtes de la mer pour essayer de percer le secret de leur vie et peut-être de la vie en général.

Philippe Chauveau
Et Pelletier, lui, il est du musée de Rouen.

Alexandre Postel
Voilà, et donc ils sont collègues, confrères l'un et l'autre, et donc ils ont les mêmes objets d'étude, et donc Pelletier vient faire un petit séjour d'études en fait, dans cette station marine. Ils se retrouvent là tous les trois et Flaubert, c'est vrai, a assisté, fasciné, à toutes ces dissections de poissons auxquelles se livrent ces savants à longueur de journée.

Philippe Chauveau
Et justement, c'est ce qui est intéressant, c'est que c'est Flaubert, l'image de Flaubert, le grand auteur. Et puis là, on le voit comme un gamin qui est fasciné face à ces deux hommes qui lui ouvrent les portes d'un monde qu'il ne maîtrise pas et qu'il ne soupçonnait peut-être pas, et qui assiste justement à leurs travaux. Vous l'avez un peu désacralisé, Flaubert, avec ces deux personnages de Pouchet et Pelletier.

Alexandre Postel
Désacralisé... Il aurait fallu que je le considère comme sacré d'abord, ce qui n'est pas le cas. Mais alors, oui, comme un gamin, ça pour le coup... En effet, vous dites bien parce qu'il me semble que ça rejoint quelque chose, justement, de sa propre enfance. Cette fascination pour le savant, puisque son père lui même était un médecin chirurgien. Et c'est à la fois une admiration qu'il éprouve envers ces figures de savant, envers leur rigueur, envers leurs recherches patientes, minutieuses des causes de la vie. Envers aussi le calme qui est le leur. Parce que ce sont des êtres extrêmement sereins, extrêmement calmes, imperturbables, alors que lui est dans tous ses états, il pleure pour un oui, pour un non. À ce stade de sa vie, il est dans un état un peu mélancolique, et d'un autre côté, peut-être aussi un rapport de rivalité qui se met en place progressivement. C'est peut-être aussi quelque chose qui va jouer dans ce désir de reprendre la plume finalement, comme un autre scalpel. Un autre moyen, finalement, d'accompagner la vie.

Philippe Chauveau
Vous le disiez, nous sommes en 1875. Flaubert n'est pas à la fin de sa vie, mais en tous cas, il s'en rapproche tout doucement. Il n'a pas le moral. Il ne s'entend pas avec le mari de sa nièce. Il a des histoires d'argent. Avec Victor Hugo, George Sand, il commence un peu à les trouver saoulant. Il est complètement plombé. Il n'a pas d'inspiration, donc il y a cette mélancolie. Puis, au fil des pages, avec votre écriture, on voit Flaubert renaître, en quelque sorte. C'est aussi l'image du romancier, de l'auteur que vous pouvez parfois être, qui peut connaître des moments de désillusion, de mélancolie et qui, par des hasards, par des rencontres, retrouvent l'inspiration et la joie d'écriture ?

Alexandre Postel
Sans doute qu'il y a un peu de ça. Certainement. Si j'ai éprouvé peut-être aussi l'attrait de cette situation, finalement, dans la vie de Flaubert, de ce moment comme ça, ce moment de mue ou de métamorphose comme ça, qui est aussi un emballement d'une certaine façon et une sorte de jeunesse retrouvée.

Philippe Chauveau
Si Flaubert entrait dans ce studio, qu'auriez-vous envie de lui dire ?

Alexandre Postel
Allons donc boire un verre au café des Capucines, qui se trouve boulevard des Capucines, juste à côté, et dont j'ai vu en passant qu'il avait été créé en 1875. Donc, c'est parfait.

Philippe Chauveau
En tous cas, voilà un livre très réussi, un joli portrait de Flaubert, certes romancé, mais qui nous donne envie de redécouvrir ce grand auteur et une très belle écriture. Ce livre est une vraie réussite. Ça s'appelle Un automne de Flaubert. C'est votre actualité, Alexandre Postel, vous êtes publié chez Gallimard.

Alexandre Postel
Merci à vous.

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