Emilie de Turckheim

Emilie de Turckheim

Popcorn Melody

Livre 6'36

Philippe Chauveau

Dans ce nouveau roman, Emilie de Turckheim, qui est déjà votre 8ème titre, nous allons faire connaissance avec Tom Elliott. Quel drôle de personnage ! Il vit au fin fond des USA, dans le Mid West dans une petite ville que vous avez inventée...

Emilie de Turckheim

Shellawick.

Philippe Chauveau

Ce personnage aujourd'hui, il tient une petite épicerie, ce que lui considère un peu comme un supermarché. Son père était barbier, d'ailleurs il a conservé le fauteuil de barbier de son père dans sa boutique. Il a aussi une particularité, c'est que quand il était gamin, son visage a été utilisé par l'usine de popcorn d'à côté, pour faire la promo des popcorns. D'où vient-il ce personnage de Tom Elliott, pourquoi est-il arrivé dans votre imagination ?

Emilie de Turckheim

Alors je ne sais pas pourquoi il est arrivé. Mais je me souviens que quand j'ai commencé à écrire, je l'ai vu, il était roux. C'est très net, et il avait les yeux un peu fendus. Parce que moi j'écris pendant des mois avant de savoir pourquoi j'écris. Après je dois tout recommencer. Donc j'essaye de comprendre pourquoi les premières images que j'ai vues, pourquoi ce visage là qui avait l'air métis mais je ne savais pas d'où. Et à force d'écriture, j'ai compris qu'il était d'origine amérindienne, et qu'il allait vraiment s'agir de l'histoire des indiens des plaines, à travers l'histoire de ce petit supermarché. Donc voilà, il est né de là, et puis surtout, il est né parce que j'aimais bien l'idée de ce commerçant poète, parce que l'autre particularité de ce Tom Elliott, il tient cette petite épicerie mais c'est une espèce d'excuse on va dire.

Philippe Chauveau

Il ne voit pas passer grand monde donc ça lui laisse le temps d'écrire.

Emilie de Turckheim

Mais surtout, à chaque fois qu'un client entre dans sa petite supérette, il en profite pour écrire sur ce client un petit poème qui le décrit, comme un petit haïku japonais, en trois petites lignes. Il est tout le temps attentif, en train d'observer du neuf dans du pas neuf du tout parce que c'est toujours les mêmes personnes qui rentrent. Et lui à chaque fois, c'est l'occasion d'un nouveau poème.

Philippe Chauveau

Oui parce que les clients viennent plus pour bavarder que pour consommer dans l'épicerie.

Emilie de Turckheim

Ils n'ont pas le choix les pauvres parce qu'il n'y a rien à acheter !

Philippe Chauveau

Alors ils se mettent dans le fauteuil de barbier, ils se mettent à parler un peu comme s'ils allaient chez le psychiatre ?

Emilie de Turckheim

Voilà, ils vont chez le psy mais ils ne le savent pas. C'est l'espèce de pudeur entre eux, on ne dit pas qu'on va chez le psy, on fait semblant d'aller au petit supermarché. Mais évidemment, chacun sait qui vient se confier, parler de son enfance, de sa vie, et même les plus taiseux, les plus taciturnes, là, voilà, c'est le fauteuil magique qui délie les langues, et il est magique parce que c'est un fauteuil qu'ils connaissent tous. Ils ont tous connu le père de Tom, Samuel, qui était le barbier de Shellawick, ils se sont tous pris un rasoir coupe-choux qui leur est passé devant la carotide, donc ils ont toujours eu confiance dans ce fauteuil, donc de nouveau là, ils remettent leur vie, leurs confidences entre les mains du fils du barbier.

Philippe Chauveau

On retrouve avec plaisir ce style que vous avez Emilie de Turckheim de nous entraîner dans des univers un peu en marge, parce que cette épicerie, on la voit, et en même temps on se doute qu'elle existerait difficilement en vrai. Shellawick n'existe pas, c'est une ville que vous avez inventée, et en même temps on a cette vision fantasmée de la petite ville d'Amérique qui a du mal à survivre. Il n'y a plus d'entreprises, la plupart de la population est au chômage. Mais il va y avoir un drame, c'est qu'un grand supermarché va ouvrir juste en face de la petite épicerie de Tom.

Emilie de Turckheim

Un luxueux supermarché qui ouvre sur le trottoir d'en face. Et Tom qui pensait qu'il était moins commerçant qu'un confident, et qu'il ne pouvait pas perdre ses clients parce que c'était des amis avant toute chose, va du jour au lendemain perdre tous ses clients. Parce que évidemment, tout le monde va être attiré par les millions de produits extrêmement sophistiqués et désirables que propose cette enseigne qui appartient à ce que j'appelle les jaunes dans ce livre, qui sont les grands magnas du popcorn, c'est une région céréalière, pleine de popcorns, et qui possèdent les usines de popcorn, les distilleries de popcorn, tous les supermarchés du coin. Ceux qui ont la chance d'avoir un travail, travaillent à l'usine de popcorn, vont dépenser leur argent dans les supermarchés qui appartiennent à ces grands magnas. Ils n'ont plus leur bowling, les petits lieux où ils pouvaient se rassembler, tout a fermé. Et il ne reste plus que ça, aller travailler et dépenser son argent dans les supermarchés.

Philippe Chauveau

Et c'est là où on vous retrouve, où vous aimez pointer du doigt les sujets qui font mal, c'est que vous nous invitez à nous interroger sur la surconsommation, sur ces temples que sont les hypermarchés. Pourquoi avez-vous eu cette envie, et pourquoi finalement avoir placé ça aux USA alors qu'on sent bien que vous nous dites, ça c'est la réalité un peu partout.

Emilie de Turckheim

Alors j'ai placé ça aux USA parce que c'est comme une espèce de grande histoire du supermarché. On part du premier supermarché, on est dans les grandes plaines, c'est le bison. C'était le supermarché des indiens des plaines. Un bison ça permettait de se nourrir, de se vêtir, de fabriquer des armes, des médicaments. C'était une petit supermarché sacré, écologique, tout était compris dans le bison. Après, j'ai imaginé cette version très chaleureuse, intermédiaire, où on a un petit lieu, qui est un lieu de commerce, mais avant tout, de commerce entre les hommes, pour se parler. On achète de quoi se nourrir, se laver. Mais l'essentiel n'est pas là. Ca répond encore à des vrais besoins qu'on a de se confier, d'observer ensemble le désert autour. Parce qu'une de leur actualité préférée, comme ils n'ont rien à faire, c'est de contempler la beauté du désert. Il y a un désert de pierres noires tout autour. Et puis à la fin, comme si c'était la fin de notre civilisation, la fin de l'espoir de réussir à construire quelque chose ensemble, on a l'hypermarché qui est glacial, avec la climatisation qui déconne. Il fait 10 degrés alors qu'à l'extérieur, on meurt de chaud.

Philippe Chauveau

Des rayons surgelés dans cette région surchauffée.

Emilie de Turckheim

Des rayons surgelés où tous les petits vieux viennent prendre le frais parce qu'ils meurent de chaud. Ils sont tous les uns à côté des autres comme des sardines surgelées au rayon frais. Et là, alors qu'il y a des millions de produits à acheter, plus rien ne vient répondre à nos besoins fondamentaux.

Philippe Chauveau

Vous faites dire également à un de vos personnages qui côtoie Tom dans sa boutique : « un certain niveau de manque est une bénédiction ». Vous y croyez ?

Emilie de Turckheim

J'y crois très fort. Je ne crois pas que le manque est une bénédiction, mais un certain niveau de manque. On a trop peu d'heures, trop peu de temps à dépenser sur cette terre pour passer tout le temps qu'on passe à être dans cette espèce de dépense frénétique de temps de consommation. Dans le manque, il y a toute l'imagination de ce qu'on désire, alors que quand tous les désirs sont systématiquement satisfaits , c'est comme une plante trop arrosée. Elle en meurt. On se connait beaucoup mieux si on est seul avec son temps, et seul avec son ennui. Et puis l'ennui, ce n'est jamais du vrai ennui, c'est juste du temps personnel qu'il faut apprendre à habiter. C'est tout un apprentissage mais c'est génial.

Philippe Chauveau

Popcorn Melody, vous êtes éditée chez Héloïse d'Ormesson. Merci Emilie de Turckheim.

Emilie de Turckheim

Merci à vous !

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  • Emilie de Turckheim trace gentiment son sillon dans l’univers littéraire français. Après Sciences Po, elle suit des études de sociologie mais elle sait déjà que l’écriture aura une place déterminante dans sa vie. A 24 ans parait son premier roman « Les amants terrestres » dans lequel transparait déjà ce que sera la patte de Turckheim. Une écriture débridée, rythmée, des personnages décalés, des situations loufoques mais aussi une certaine poésie dans le choix des mots, une émotion palpable et des thèmes qui ne...Lunch box d'Emilie Turckheim (de) - Présentation - Suite
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    J'ai beaucoup aimé ce roman. Ce n'est pas le premier roman d'Emilie de Turckheim d'ailleurs que j'apprécie. J'aime toujours son humour. C'est quelqu'un dont j'aime aussi l'écriture parce qu'elle a un style très fluide et aussi inventif. Il y a aussi les thèmes qu'elle aborde, et en particulier dans celui-ci, elle aborde à la fois l'influence ou l'importance ou comment la littérature et la poésie peuvent agir sur les gens, et peut-être sur notre environnement, sur le monde. Je le recommande, c'est un des livres de la rentrée...Lunch box d'Emilie Turckheim (de) - Libraire - Suite