Nicolas d'Estienne d'Orves

Nicolas d'Estienne d'Orves

Marthe ou les beaux mensonges

Livre 07'47"

Philippe Chauveau :

Voici votre nouveau titre Nicolas d'Estienne d'Orves, « Marthe ou les beaux mensonges » avec ce visage de Marthe Richard. Cette femme, on la connait, elle fait partie de notre histoire française, c’est la loi de 1946, la fermeture des maisons closes. Marthe Richard c'est un nom et c'est aussi, peut-être, une image faussée, on ne sait pas vraiment qui est Marthe Richard. C'est à ce destin que vous avez eu envie de vous attaquer sous une forme un peu surprenante puisque vous écrivez à la première personne. Vous enfilez les robes, les manteaux et les chapeaux de Marthe Richard, pourquoi avez-vous eu envie de nous parler d'elle ?

Nicolas d'Estienne d'Orves :

En fait, l’idée est née d'une volonté avec mes camarades de Calmann-Levy qui m'ont dit : « on aimerait que tu nous fasses des biographies historiques, des biographies romancées ». On a déjeuné et on a commencé à lancer des sujets, des personnages. J'écrivais « La gloire des maudits » qui est un roman qui se passe dans les années 50, peu de temps après la fermeture des maisons closes et en écrivant ce roman je m'étais intéressé au personnage de Marthe Richard, que je ne connaissais absolument pas. Comme la plupart des gens, je connaissais la loi de 1946 qui a marqué la fermeture des maisons closes après beaucoup d'années et pas mal de combats de la part de Marthe Richard. J'avais une image un peu sotte et négative de ce personnage qui passait pour une espèce de cul-béni virago, un peu hystérique. En fait, j'ai vaguement regardé et je me suis rendu compte qu'elle avait eu une vie extraordinaire. Quand j'ai dit à mes camarades de Calmann-Levy que cette femme était à la fois prostituée, espionne, femme d'affaire, politicienne, écrivain, qu'elle a fait de la prison, qu'il y a eu des films sur elle de son vivant, on s'est dit « mais quel destin » ! Et j'ai décidé de la sortir de l'ombre… Effectivement, il fallait trouver une ligne de conduite, trouver un ton, et je me suis rendu compte que la façon la plus simple était de me mettre dans sa peau, d'enfiler ses vêtements comme vous avez dit, parce que sinon je n'allais pas y arriver. Le personnage étant très complexe, très ambigu, si on restait trop extérieur, j'aurais été obligé de donner mon opinion ou d'avoir un jugement sur elle et je me défends toujours de juger les sujets sur lesquels j'écris.

Philippe Chauveau :

Paradoxalement, vous vous mettez dans la peau de Marthe Richard puisque c'est elle qui s'adresse à nous mais en admettant ses zones d'ombres, en admettant qu'elle n'a pas toujours été sur la bonne conduite, sur la bonne ligne. Vous ne prenez pas vraiment position, il n'y a aucune subjectivité dans ce que vous écrivez, c'est Marthe Richard qui parle d'elle.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

C'est cela qui était amusant, c'est cela qui était un numéro de claquettes. C'est arrivé qu'elle fasse son autoportrait, parfois presque son autocritique et qu'elle se montre dans toutes ses ambiguïtés. Pour préparer ce livre, j'ai lu les différentes biographies qui existent, il en existe deux officielles qui se contredisent assez souvent et Marthe Richard a écrit deux fois son autobiographie en se contredisant elle-même. Il y a quatre versions de la vie de Marthe Richard, j'ai gardé ce qui était le plus étonnant, pas toujours le plus vraisemblable mais le plus romanesque, d'où ce destin assez incroyable qui, pour moi, s'arrête vraiment dans les années 50.

Philippe Chauveau :

Vous l'expliquez d'ailleurs dans les dernières pages.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

Je l'explique, ce n'est pas très intéressant. C'était un personnage assez antipathique à la fin de sa vie, elle a dit beaucoup de bêtises, elle est revenue sur des positions qui n'étaient pas à son honneur... En fait je n’ai pas de sympathie pour elle au bout du compte, je pense que le personnage était moins sympathique que celui que j'ai décrit mais, malgré tout, quand on passe 450 pages dans la peau d'une personne, il faut bien qu'on commence à l'aimer parce que sinon ce serait trop dur.

Philippe Chauveau :

On ne va pas tout dévoiler parce que vous nous embarquez dans une drôle d'aventure, c'est une véritable héroïne de roman : prostituée, espionne, femme d'affaire, résistante, collabo, écrivain, pionnière de l'aviation, politicienne... Elle a eu mille vies en une ! Elle fut une femme tout à fait dans son époque, même parfois un peu précurseur notamment lorsqu'elle a compris qu'il fallait que la femme reprenne toute sa place dans la société, lorsqu'elle fait fermer les maisons closes. Puis, curieusement, à partir des années 50, elle perd pied, elle n'est plus en adéquation avec son temps.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

C'est une femme qui en a toujours trop fait ! Elle a trop menti, elle avait besoin d'avoir le dernier mot, elle aimait être en une des gazette alors elle était prête à tout pour le faire, elle avait besoin qu'on l'aime, elle avait besoin qu'on la voit, elle avait besoin qu'on l'admire. Elle en aurait fait un peu moins, elle serait restée l’une des grandes figures de l'histoire de France je pense.

Philippe Chauveau :

Vous nous laissez entendre aussi que c'était une femme qui avait beaucoup d'allure, une beauté de son temps. Lorsqu'elle se promène dans les rues de San Sebastian, tout le monde s'arrête sur son passage. Croqueuse d'hommes, peut-être pas mais les hommes ont beaucoup compté, que ce soit Antonio, Monsieur Richer ou Zozo... Il y en a eu beaucoup des hommes dans sa vie et dans son lit.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

Ce n'était pas une grande amoureuse mais elle a eu beaucoup d'amoureux. Les hommes tombaient amoureux d'elle. Est-ce qu'elle avait des secrets cachés, je ne le sais pas mais elle faisait énormément d'effet parce que c'était une « plus-que-femme ». Elle était une femme engagée qui s'est arrachée à sa condition. Je pense qu'elle impressionnait beaucoup les hommes parce elle avait une volonté qui était assez peu représentée dans sa communauté à l'époque. Elle voulait aller toujours plus loin, toujours plus haut, c'est pour cela qu'elle était aviatrice. En plus, il y a eu cet accident lors d'un meeting aérien qui la rend stérile. Donc, elle n'a pas pu avoir d'enfants. Elle a fait de sa vie une espèce d'épopée qui peut-être aurait été apaisée si elle était devenue mère de famille.

Philippe Chauveau :

Ce qui est passionnant et ce qui m'a beaucoup plu dans ce livre, c'est que non seulement vous nous présentez Marc Richard, vous gommez certaines zones d'ombres, vous nous expliquez quelle fut sa vie, mais surtout, c'est un beau roman sur une femme française, sur une femme qui essaie de reconquérir sa dignité, sur une femme qui essaie de se reconstruire malgré les aléas de l'histoire, malgré les pièges qu'on peut lui tendre, c'est surtout un beau portrait de femme qui lutte, une femme qui se bat. C'est la force de ce livre.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

Elle a passé sa vie à combattre, contre ses origines sociales, contre cette marque au fer rouge qu'on lui a posée sur le bras quand elle est passée par les bordels, contre l'image qu'on pouvait avoir d'une femme dans la société, parce que, quand elle arrive en 1914 à l'état-major en disant « je suis aviatrice, il faut que l'aviation fasse partie de l'armée maintenant que les combats commencent », on lui répond qu'on ne veut pas d'aviatrice, qu’elle une femme donc c'est impossible. Elle a toujours lutté, elle a même lutté pour retrouver sa nationalité française puisqu'elle épouse un citoyen britannique dans les années 20, qui meurt un an plus tard, elle devient anglaise et jamais elle ne pourra retrouver sa nationalité française. Elle est morte britannique, c'est quand même étonnant, une vraie femme française du XXe siècle était citoyenne britannique !

Philippe Chauveau :

Si la porte du studio s'ouvre et que Marthe Richard est devant vous, qu'avez-vous envie de lui dire ?

Nicolas d'Estienne d'Orves :

Je m'excuse ! Je lui demanderais pardon pour avoir un peu trop romancé mais je lui dirait « respect ».

Philippe Chauveau :

En tout cas, voilà un livre qui se dévore de la première à la dernière page, on a vraiment l'impression d'avoir Marthe Richard face à nous, il y a une vivacité dans votre écriture et, je le disais, c'est surtout un très beau portrait de femme. C'est votre actualité Nicolas d'Estienne d'Orves : « Marthe ou les beaux mensonges » et vous êtes publié chez Calmann-Levy. Merci beaucoup.

Nicolas d'Estienne d'Orves :

Merci.

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  • Nicolas d’Estienne d’Orves est une sorte de zébulon dans le milieu littéraire, un touche à tout qui sait vous entrainer dans ses enthousiasmes. Ses passions sont nombreuses. Au premier chef, il y a la musique, la grande musique et spécialement l’opéra. Il est d’ailleurs chroniqueur et critique pour France Musique, Le Figaro ou le magazine Classica. De l’opéra à l’opérette, il n’y a qu’un pas et on ne s’étonnera pas donc pas qu’en 2010, Nicolas d’Estienne d’Orves publie une passionnante biographie de...Arletty, un coeur libre de Nicolas d'Estienne d'Orves - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Nicolas d'Estienne d'Orves. Nicolas d'Estienne d'Orves : Bonjour. Philippe Chauveau : Votre actualité chez Calmann Levy, « Marrhe ou les beaux mensonges », voilà un livre qui prend place dans une bibliographie déjà assez conséquente. J'ai l'impression que vous êtes un touche-à-tout. Il y a des récits, il y a des romans, il y a des romans d'anticipation, il y a des biographies, on se rappelle de celle consacrée à Jacques Offenbach. Si vous deviez définir votre travail d'auteur, que...Arletty, un coeur libre de Nicolas d'Estienne d'Orves - Portrait - Suite
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