Hector Mathis

Hector Mathis

Langue morte

Livre 00'07'01"

Philippe Chauveau :

Ainsi donc, après K.O. et Carnaval, voici votre troisième roman Langue morte. Nous allons suivre un narrateur qui fait à rebours le chemin de sa vie, qui retourne sur les chemins de son enfance, de son adolescence, et qui nous fait partager des souvenirs. En parallèle ce sont aussi nos souvenirs puisqu’il y a des moments qui rappellent l’histoire de la société. Comment naît le projet de Langue morte ? Quelle a été votre envie en débutant l’écriture de ce troisième roman ?



Hector Mathis :

Il n’y a pas de méthode, pas de réflexion, pas de construction de plan, ça s’est fait très naturellement. J’ai l’impression que ce qui revient en permanence dans ce que j’écris, parce qu’il y a quelque chose d’assez organique, je n’ai pas le sentiment de choisir grand-chose, c’est ces deux temporalités à chaque fois qui se croisent, qui s’entremêlent, qui se séparent à des moments, qui reviennent. Il y a un écho avec quelque chose qui m’avait beaucoup intéressé chez Proust, cette idée du passé ressuscité et pas le fait de retourner dans le passé mais le fait que le passé éclate complètement dans le présent à travers les pavés chez Proust ou la madeleine qui est l’épisode le plus connu de la recherche du temps perdu. Et j’ai le sentiment que la mémoire est dans les lieux, que parfois on externalise complètement cette mémoire-là, et que les lieux en sont gorgés et qu’il font éclater par des sensations, par des odeurs, des couleurs, ces souvenirs-là, et qu’ils revivent dans le présent en permanence et qu’on ne vit pas forcément cette espèce de temps linéaire qui est la conception qui est la nôtre aujourd’hui, mais plutôt quelque chose de circulaire avec des réminiscences mais qui sont bien vivantes, c’est là-dedans que j’ai complètement basculé. Et naturellement, l’enfance est un matériau tellement foisonnant, tellement puissant, tellement intéressant que ça s’est imposé très naturellement.



Philippe Chauveau :

Le livre est construit en plusieurs chapitres qui sont finalement autant de flashbacks, puisqu’on va suivre cet enfant qui va devenir adolescent, on va le suivre sur plusieurs années. Et puis ce sera l’occasion de découvrir la banlieue, ce qu’il appelle sa grisâtre, d’aller dans la maison de la grand-grand-mère dans le sud, d’aller dans un camping en Vendée, de croiser les parents, de croiser le frère, de croiser la grand-mère… Est-ce que dès le départ vous aviez un plan très construit de votre livre ou finalement, est-ce que vous vous êtes laissé porter par ces personnages qui sont sans doute très proches de vous ?

Hector Mathis :

Je me suis complètement laissé porter, mais il y a une grille harmonique au départ, un peu comme les jazzeux, on sait a peu près ou on se situe, dans quelle tonalité. Il y avait quand même quelques passages incontournables où je savais qu’il fallait que j’aille. Mais sinon je me laisse une liberté totale. En revanche, je reprends beaucoup le texte, beaucoup plus qu’avant, mais je me suis laissé porter. Le portrait m’intéresse beaucoup. L’idée du tableau m’intéresse beaucoup donc il y a des scènes qui sont plus des tableaux à proprement parlé qu’un récit véritable.



Philippe Chauveau :

Votre narrateur est un jeune garçon qui cherche à comprendre quelle est sa place dans ce monde, dans cette société. A un moment vous lui faite dire « j’ai l’impression qu’ils étaient tous sur la même longueur d’onde, et moi dissonant. » Vous avez ressenti ça vous aussi, cette dissonance par rapport aux autres ?



Hector Mathis :

Oui, bien sûr, régulièrement, j’avais le sentiment d’être un peu perché ailleurs et de ne pas être complètement capable de jouir de la même chose, être toujours sur deux plans, deux niveaux, dans mon propre récit, ce que je me marmonne à moi, et en même temps-là, donc jamais complètement quelque part.



Philippe Chauveau :

Présentez-le-nous ce narrateur. Il vit dans une banlieue avec une famille plutôt aimante mais qui est-il finalement ?

Hector Mathis :

Il cherche, il se découvre, il est un observateur. Il est au milieu de ce monde-là et il n’y participe pas vraiment, il n’est pas vraiment acteur de tout ça. Il est pris au milieu de cette famille aimante, avec un père qui lui fait découvrir le théâtre au milieu de cette banlieue qu’il appelle la grisâtre parce qu’elle est très très laide, et en même temps de cette laideur va émerger aussi du sublime et quelque chose d’assez merveilleux. Et lui il est toujours en train de dessiner, de griffonner, d’écrire, de marmonner, il essaie de partir à la rencontre de son futur roman.



Philippe Chauveau :

Il se cherche, il sait qu’il y a quelque chose en lui mais il n’arrive pas à le déceler. Il va rencontrer sur son chemin des personnages qui vont le faire grandir, les professeurs, le personnage de la grand-mère, cet oncle Horace qui est un peu le paumé de la famille mais qui va lui apprendre les choses de la vie. Vous écrivez, c’est toujours le narrateur qui parle, « J’entendais le texte, il passait par le bas, me remontait des entrailles pour m’agiter le poignet. Mon petit bazar intérieur prenait enfin tout son sens. Alors qu’il demeurait jusqu’alors balbutiant, se glissant dans des croquis, des esquisses maladroites, de petits poèmes chétifs et inaboutis. Voilà que maintenant j’avais ma raison d’être. Mon vice. Ma confirmation. La véritable. Pas celle des professeurs, des amis ou de qui que ce soit d’extérieur. Ma confirmation à moi. J’étais bien soulagé, désormais. Je savais quoi faire. » C’est ce que vous avez ressenti lorsque vous vous êtes dit « c’est l’écriture qui va me faire vivre » ?

Hector Mathis :

Oui, lorsque j’ai compris, alors que c’était déjà là depuis un moment, même si quand on est gamin, ce n’est pas toujours formidable ce qu’on fabrique… Mais oui, il y a une sorte de soulagement parce qu’on sait que c’est le travail qu’on doit faire et maintenant il n’y a plus qu’à se mettre au boulot et le boulot ça sauve en plus, donc après, une fois qu’on sait quoi faire…

Philippe Chauveau :

Ça avance.



Hector Mathis :

Oui, tout à fait.



Philippe Chauveau :

Ceux qui ont lu vos précédents livres, K.O. et Carnaval, vont retrouver votre univers, vont retrouver votre écriture. Ceux qui ne vous connaissent pas peuvent vous découvrir dès à présent. Néanmoins, y a-t-il un fil rouge entre ces trois premiers titres ?

Hector Mathis :

Oui, il y a de choses qui reviennent, je dirais qu’il y a toujours la cavale, cette grande fuite, il y a la langue, je pense que c’est ce qui tient tout. Et effectivement un univers, qui s’enrichit. Je parlais de peintre tout à l’heure, j’aime l’idée qu’on se penche 1000 fois sur la même étude. Ou que les compositeurs multiplient les variations mais en fait, tout ça n’est pas gratuit. C’est parce qu’on est en train d’essayer d’arriver à la forme parfaite pour dire vraiment ce qu’on essaie de dire. Et je pense que je suis en chemin.



Philippe Chauveau :

C’est votre actualité Hector Mathis, c’est un livre magnifique avec votre écriture qui vous est propre et qui est une musique en soi. Ça s’appelle Langue morte, c’est un vrai coup de cœur en ce début d’année 2022, vous êtes publié aux éditions Buchet-Chastel. Merci beaucoup.



Hector Mathis :

Merci à vous.


  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Il n’a pas encore 30 ans mais il est déjà un nom reconnu dans l’univers littéraire. Dès son premier roman, « KO » en 2018, Hector Mathis a été remarqué par l’originalité de son écriture proche du langage parlé et du slam . Une écriture pleine de souffle et de musicalité pour parler de notre monde, de notre société avec une vision souvent désabusée et des personnages dans lesquels l’auteur se raconte lui-même.Après « Carnaval » en 2021, voici le nouveau titre d’Hector Mathis, « Langue morte ». Un...Langue morte de Hector Mathis - Présentation - Suite
    
Philippe Chauveau : Bonjour Hector Mathis.   Hector Mathis : Bonjour   Philippe Chauveau : Nous vous accueillons pour cette actualité, Langue morte, aux éditions Buchet-Chastel, c’est déjà votre 3e titre. Il y avait eu K.O. en 2018, et Carnaval en 2020 et nous démarrons cette année 2022 avec cette nouveauté. Faisons un peu plus connaissance, il y a eu la chanson pendant un moment dans votre parcours, en tout cas l’écriture de texte, comment est arrivée cette envie ?   

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