Eric-Emmanuel Schmitt

Eric-Emmanuel Schmitt

La vengeance du pardon

Livre 7'03

Philippe Chauveau

Avec ce nouveau titre, « La vengeance du Pardon », Eric-Emmanuel Schmitt, après les deux romans précédents, vous revenez à une écriture que vous affectionnez, c'est la nouvelle.

Eric-Emmanuel Schmitt

Oui, j'adore ça.

Philippe Chauveau

Recueil de quatre nouvelles. Pourquoi maintenant ? Pourquoi cette année un recueil de nouvelles ?

Etait-ce le hasard ou était-ce prémédité ?

Eric-Emmanuel Schmitt

Non, il n'y a jamais de hasard en écriture, parce qu'il y a des plantes qui sont mûres tout d'un coup. Et j'écris des textes quand ils sont mûrs. Un de ces textes, la nouvelle titre, ça fait 20 ans que je l'ai dans la tête, mais tout d'un coup, c'était mûr et pour que les choses soient mûres, il faut qu'elles aient été arrosées. Et effectivement, je pense qu'il y a un contexte aujourd'hui de violence, qui fait que peut-être, ces histoires sur le thème de la vengeance et du pardon ont plus d'acuité, parce qu'aujourd'hui on se pose tous la question de savoir comment on réagit par exemple aux attentats. Moi j'ai vécu une chose épouvantable il y a quelques temps, c'est lors de l'attentat de l'aéroport de Zaventem à Bruxelles, je me suis levé, on m'apprend qu'il y a cet attentat et ma famille était à Zaventem ce jour là, en train de partir à Rome. Et donc j'ai passé 45 minutes sans savoir s'ils étaient vivants ou s'ils étaient morts. Et heureusement, quand ils sont arrivés à Rome, ils m'ont tout de suite appelé en me disant « Ne t'en fais pas ». Et là, j'ai intérieurement vécu la chose en disant : si on touche aux miens, qu'est-ce que je fais ? Vengeance ou pardon ? J'ai vu que je n'étais pas très avancé sur le chemin du pardon.

Philippe Chauveau

Quatre histoires, quatre histoires et des contextes différents, des personnages très différents les uns des autres, des époques différentes. On ne va pas rentrer dans chaque histoire évidemment. Les sœurs Barabarin. Nous avons aussi ce joli texte avec Vermeer qui a 93 ans et cette petite Daphnée qui lui demande de lui dessiner un avion et Elise Maurinier. Ca c'est un personnage qu'on n'oublie pas, cette femme qui va visiter le meutrier de sa fille en prison. Pourquoi, comment, qu'est-ce que cela lui apporte ? Et également, cet autre texte, avec mademoiselle Butterfly, avec là aussi, quand on a abusé de la faiblesse de quelqu'un, peut-on vivre en toute conscience. Quel est le fil rouge de cette histoire, de ces personnages ? Parce qu'il y a des salauds, il y a des gens formidables dans cette histoire mais il y a aussi beaucoup de salauds.

Eric-Emmanuel Schmitt

Je pense qu'il n'y a pas de fil rouge, mais il y a un diamant, c'est-à-dire le pardon, avec plusieurs facettes. C'est un diamant noir. C'est-à-dire, j'essaye vraiment de voir plusieurs facettes du pardon, la difficulté de pardonner, ça c'est assez évident, mais la difficulté d'être pardonné. Très difficile de vivre sous le regard de quelqu'un qui vous pardonne. Ca ne provoque pas forcément l'apaisement. C'est tellement humiliant. Ca peut provoquer une haine encore supérieure. Et puis, les ambiguïtés du pardon. Est-ce qu'au fond, parfois, on pardonne pour soit, pas pour l'autre. Pour avoir la paix, pour être tranquille. Donc au fond, c'est égoïste de pardonner. Voilà. Et puis comment se pardonner à soi. C'est l'histoire de Vermeer. Est-ce qu'on peut se pardonner ce qu'on a fait de mal ? Moi, personnellement, je sais que je n'arrive jamais à me pardonner alors que je pardonne aux autres.

Philippe Chauveau

Quatre histoires sur une même thématique. Il n'y a pas une frustration avec la nouvelle justement, certains personnages à qui vous auriez aimé donner une autre vie ?

Eric-Emmanuel Schmitt

Non, parce que moi j'aime écrire court. Mes textes qui ont fait le plus le tour du monde ce sont des textes extrêmement courts, comme justement « Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran », « Oscar et la dame rose » etc.. J'aime la concision. Y compris la concision émotionnelle. C'est-à-dire qu'un texte n'a pas besoin de faire 400 pages pour vous poignarder. C'est peut-être même plus sûr qu'il vous poignarde en 80 pages. Et puis, il n'y a pas de romans à chute. Alors qu'il y a des nouvelles à chute. Et j'adore la chute, vous savez ce moment où, à la fin d'une histoire, vous comprenez ce qui s'est passé et vous dites « Ah, il faut que je relise tout à la lumière de ce que je viens d'apprendre ». Il n'y a que le genre de la nouvelle qui offre ça, et c'est jubilatoire.

Philippe Chauveau

Alors il y a le plaisir de la lecture, avec cette construction que vous expliquez. Mais c'est un livre dont on ne sort pas indemne. De la même façon que vous disiez être confronté vous-même au pardon, on sait que c'est difficile. Le lecteur a la fin du livre se pose aussi mille et une questions sur sa propre vision, sur sa propre réflexion vis-à-vis du pardon. Là encore vous avez encore de bousculer votre lecteur.

Eric-Emmanuel Schmitt

Mais vous savez, c'est toujours le philosophe... Toutes mes fictions ont des racines dans la philosophie. Mon but, c'est premièrement de raconter des histoires parce que je suis un raconteur d'histoires, mais ces histoires sont toujours des fables. C'est-à-dire, j'espère qu'elles donnent un peu à réfléchir, à penser, qu'elles peuvent déplacer même les frontières intérieures des gens, frontières émotionnelles, et puis parfois, frontières intellectuelles, en leur faisant parfois reconsidérer les choses. C'est très important pour moi. Pour moi un livre, ce n'est pas un arbre, c'est une graine. C'est-à-dire, je la sème pour que ça provoque quelque chose au lecteur. Ce qui compte, c'est autant que le livre, c'est ce qui après peut se passer dans l'esprit du lecteur.

Philippe Chauveau

J'imagine que l'écriture de ce livre n'est pas anodine. Elle vient après La nuit de feu, elle vient après d'autres ouvrages dans lesquels vous avez raconté et expliqué aussi un cheminement vers la foi, vers autre chose. Est-ce que « La vengeance du pardon » entre dans ce même processus ?

Eric-Emmanuel Schmitt

Vous savez, vous explorer l'ombre, il faut avoir une lampe. Pour explorer le dédale de la psyché humaine, pour aller dans le labyrinthe, il faut avoir une lumière. Et donc, je pense que c'est parce que j'ai ma propre lumière, ma propre conscience, ma vision métaphysique du monde que je peux aussi aller vraiment dans les zones obscures. Parce que là, quand je descends dans le cerveau d'un assassin, d'un serial killer, ou dans la douleur d'une mère, ou dans la haine d'une sœur par rapport à son autre sœur, voilà... Mais moi j'ai toujours remarqué que c'est les écrivains qui ont cette lumière intérieure qui raconte les histoires les plus terribles. Regardez Mauriac. Regardez Julien Green. Ca aide d'avoir confiance dans l'humanité pour aller explorer ce que éventuellement, elle peut avoir de pas beau.

Philippe Chauveau

C'est votre actualité, Eric-Emmanuel Schmitt, et c'est un livre dont on ne sort pas indemne. C'est un livre qui invite à l'introspection, à la réflexion. « La Vengeance du pardon ». Vous êtes publié chez Albin Michel. Merci beaucoup.

Eric-Emmanuel Schmitt

Merci.

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  • LIVRE
  • Il est l'un des auteurs francophones. les plus lus et des plus conus, traduit en une quarantaine de langues. Eric-Emmanuel Schmitt a écrit une cinquantaine d'ouvrages, qu'il s'agisse de romans, d'essais, de recueils de nouvelles, tels « Oscar et la dame rose », « La nuit de feu » ou « La part de l'autre ». EES est aussi homme de théâtre, on se souvient notamment de « La nuit de Valognes » eou de « M. Ibrahim et les fleurs du Coran ».Elu en 2016 à l'académie Goncourt, EES délaisse le roman philosophique pour revenir à la...Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? d'Eric-Emmanuel Schmitt - Présentation - Suite
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