Voilà un roman qui fait froid dans le dos tant il dépeint avec justesse notre société et ses travers, une société qui a la larme facile mais le cœur dur. Nous sommes à l’été 2016, juste après le drame de Nice. Dans une ville de banlieue parisienne, un jeune français d’origine maghrébine est retrouvé mort près d’une voie de chemin de fer. La police pourrait bien être responsable mais pourquoi lui aurait-on alors volé son portable et sa montre. Très vite, le tragique fait divers devient affaire d’état. Tout...
L'ère des suspects de Gilles Martin-Chauffier - Présentation - Suite
Philippe Chauveau : Bonjour Gilles Martin-Chauffier.
Gilles Martin-Chauffier : Bonjour.
Philippe Chauveau : « L'ère des suspects », c'est votre actualité chez Grasset. Il y avait eu d'autres ouvrages précédemment, une quinzaine au total mais c'est votre 8e titre chez Grasset. Vous êtes à la fois auteur, écrivain, romancier, vous êtes aussi journaliste, rédacteur en chef pour Paris Match. Est-ce parfois compliqué d'avoir ces deux casquettes ou finalement parvenez-vous à bien jongler avec tout cela ?
Gilles...
L'ère des suspects de Gilles Martin-Chauffier - Portrait - Suite
Philippe Chauveau : Dans ce nouveau roman, Gilles Martin-Chouffier, « L'ère des suspects », vous nous emmenez dans une ville de banlieue qui s'appelle Versières, en région parisienne, une ville qui a sa cité appelée la « Cité noire ». Nous sommes en plein été 2016. L’attentat de Nice apparait d’ailleurs à certains moments du récit. Nous allons faire connaissance avec Côme. Côme est un jeune policier qui vient de sa Bretagne et pendant une journée il va devoir s'occuper d'une jeune stagiaire. Mais cet après-midi...
L'ère des suspects de Gilles Martin-Chauffier - Livre - Suite
Gilles Martin-Chauffier
L'ère des suspects
Présentation 1'53"Voilà un roman qui fait froid dans le dos tant il dépeint avec justesse notre société et ses travers, une société qui a la larme facile mais le cœur dur. Nous sommes à l’été 2016, juste après le drame de Nice. Dans une ville de banlieue parisienne, un jeune français d’origine maghrébine est retrouvé mort près d’une voie de chemin de fer. La police pourrait bien être responsable mais pourquoi lui aurait-on alors volé son portable et sa montre. Très vite, le tragique fait divers devient affaire d’état. Tout s’emballe et chaque protagoniste, de la mère de la victime, au grand frère de la cité, en passant par le maire de la ville, le commissaire ou le ministre, chacun y va de son appréciation, tentant d’avoir un discours humaniste en laissant sous le tapis les petites mesquineries, les jalousies, les trafics plus ou moins importants et les relents plus ou moins assumés d’un racisme ambiant. Au final, saura-t-on vraiment comment est mort ce jeune garçon de la cité ? Créer une intrigue en utilisant la société française en toile de fond, mettre le doigt là où ça fait mal, ne rien lâcher dans le texte ou les dialogues quitte à choquer ou dérouter pour éveiller les consciences, c’est ainsi que Gilles Martin-Chaufier voir la littérature. Depuis « Pourpre » en 1980, il trace son sillon avec une quinzaine de titres à son actif dont « Corrompus » prix Interallié en 1998 ou « Silence on ment », prix Renaudot des lycéens en 2003. Ce regard aiguisé sur la société, Gilles Martin-Chaufier l’exerce aussi en tant que journaliste, lui qui est rédacteur en chef de l’hebdomadaire Paris-Match. Voilà un roman coup de poing, qui est aussi l’un de mes coups de cœur de cette rentrée littéraire 2018, « L’ère des suspects » est publié chez Grasset.
Gilles Martin-Chauffier
L'ère des suspects
Portrait 6'41"Philippe Chauveau : Bonjour Gilles Martin-Chauffier.
Gilles Martin-Chauffier : Bonjour.
Philippe Chauveau : « L'ère des suspects », c'est votre actualité chez Grasset. Il y avait eu d'autres ouvrages précédemment, une quinzaine au total mais c'est votre 8e titre chez Grasset. Vous êtes à la fois auteur, écrivain, romancier, vous êtes aussi journaliste, rédacteur en chef pour Paris Match. Est-ce parfois compliqué d'avoir ces deux casquettes ou finalement parvenez-vous à bien jongler avec tout cela ?
Gilles Martin-Chauffier : Non, ce n'est pas du tout compliqué, je ne crois pas aux gens qui disent « je n'ai pas le temps d'écrire ». Les américains ont une formule : « si vous voulez que les choses soient faites, demandez à quelqu'un qui est très occupé. ». Vu les livres que j'aime et les écrivains que j'aime, Balzac, Stendhal, Zola, étaient eux-mêmes journalistes et il y avait toujours un côté reportage dans leurs livres, donc au contraire, cela se marie très bien.
Philippe Chauveau : Le journalisme, c'est une histoire de famille, il me semble que votre grand-père et votre père ont aussi baigné dans cet univers-là. Il y avait chez vous cette volonté de poursuivre le fil ou sont-ce les hasards de la vie ?
Gilles Martin-Chauffier : Pas du tout, ce sont les hasards de ma vie. Mon grand-père était un très grand journaliste avant la guerre, mon père était rédacteur en chef du Figaro Littéraire, mais je n'avais pas l'intention de devenir journaliste, j'ai d'ailleurs fait une école qui n'avait rien à voir et puis finalement, il a suffi d'un stage en banque pour comprendre que ce n'était pas fait pour moi et pendant mon service militaire j'ai écrit mon premier livre.
Philippe Chauveau : Je le disais en préambule, vous êtes rédacteur en chef à Paris Match. Quel est votre regard sur la presse ? Est-ce plus compliqué qu'avant ? Sont-ce de nouveaux challenges ? L'enthousiasme est-il le même ?
Gilles Martin-Chauffier : L'enthousiasme est le même, le problème est que l'on n'a plus de lecteurs ! Les jeunes qui ont moins de trente ans achètent très peu de journaux. Le véritable problème est donc de renouveler le stock de nos lecteurs. Notre force, c'est que l'on vérifie tout ce qu'on écrit, et je pense que ceux qui vont survivre dans la presse écrite, et je pense que Match survivra, seront des juges de paix. On entendra n'importe quoi sur les réseaux et on viendra voir dans la presse, qui elle aura fait des enquêtes si c'est vrai. On a un rôle de plus en plus sérieux à jouer paradoxalement. Je ne suis pas très optimiste sur l'avenir de la presse écrite parce que je pense que les jeunes gens lisent beaucoup moins qu'autrefois.
Philippe Chauveau : Et le livre dans tout cela ? Vous êtes rassuré sur la place du livre dans la société ?
Gilles Martin-Chauffier : Plus les siècles passent, plus la place du livre rétrécit. Au XIXe, quand on lit les chroniques que faisait Barbey D'Aurevilly, une chronique de livres faisait trente feuillets, aujourd'hui si vous faîtes une chronique de livre qui fait plus de deux feuillets et demi le rédacteur en chef vous dit que vous êtes tombé sur la tête ! A l'époque, on avait du temps pour lire. Avec l'apparition des médias, les gens lisent de moins en moins, c'est très dangereux pour les livres. En même temps je pense que si les éditeurs faisaient leur travail, au lieu de publier chacun cent livres par an ils n’en publiaient que douze ou quinze, il y aurait matière à faire lire de très bons livres. Mais le problème, c'est que l'édition publie n'importe quoi, c'est vraiment un drame. Le flot de médiocrité nuit terriblement au sort de l'édition.
Philippe Chauveau : Le message est passé à destination des éditeurs… En 1980, « Pourpre » votre premier roman, depuis vous poursuivez cette carrière à deux têtes, romancier et journaliste. L'envie de l'écriture, les influences, quelles ont-elles été ?
Gilles Martin-Chauffier : Ce que j'aime, c'est ce qu'on appelle la grande littérature française du XIXe siècle mais ce qui me fascine énormément c'est l'esprit. Un roman dans lequel il n'y a pas d'humour, il n'y a pas d'esprit, il n'y a pas d'ironie, c'est insupportable pour moi. Mes auteurs préférés sont Mme de Sévigné, La Fontaine, Saint-Simon… Au XIXe, j'adore Barbey d'Aurevilly et au XXe, j'adore Nimier et toute la bande des Hussards. Ce que j'ai envie de raconter, c'est une histoire dans le style des « Illusions perdues » de Balzac, roman absolu, et le raconter avec le ton de Roger Nimier. Ce serait ça l'idéal !
Philippe Chauveau : En 1998, le prix interallié pour « Les Corrompus », en 2003 le Renaudot des lycéens pour « Silence, on ment ». Vous nous laissez entendre que ce que vous aimez, c'est raconter notre monde, notre société, à travers une histoire que vous inventez. C'est ça le fil rouge de tous vous romans finalement ; il y a toujours une peinture de la société, parfois une critique assez corrosive.
Gilles Martin-Chauffier : Je cherche toujours des incidents qui se passent aujourd'hui, dans la société contemporaine française, dont on peut tirer la matière d'un roman avec de vrais personnages. Mais le fond de l'histoire, c'est comment fonctionne la France.
Philippe Chauveau : Que ce soit dans l'actualité ou dans vos romans, sont-ce des inquiétudes que vous essayez d'exprimer ou au contraire des signaux l'alerte que vous essayez d'envoyer ?
Gilles Martin-Chauffier : Cela peut paraître prétentieux et ridicule de dire ça mais je suis un moraliste. Je trouve que les gens doivent se comporter de façon décente, morale. Ce qui est choquant me choque et donc j'écris mes livres pour dire comment fonctionne la société française, ce qui n'est pas convenable mais j'essaie de le faire comme disaient les romains « Castigat ridendo mores », avec le sourire, en riant, en me moquant.. Je ne suis pas Mélenchon !
Philippe Chauveau : On ne peut pas vous rencontrer sans parler de la Bretagne où vous allez régulièrement. Est-ce une soupape ? Que représente la Bretagne pour vous ?
Gilles Martin-Chauffier : La Bretagne, c'est l'endroit d'où je viens, c'est l'endroit où j'ai passé toutes mes vacances depuis soixante ans, chaque année. C'est là que mes enfants et mes petits-enfants vivent. Je suis breton, j'adore la Bretagne. Philippe Chauveau : La Bretagne vous apaise ?
Gilles Martin-Chauffier : Non, on ne peut pas dire ça. Je suis heureux en Bretagne mais elle ne m'apaise pas car de toutes façons, je suis un nerveux qui m'énerve. Tout m'énerve, donc, même en Bretagne tout m'énerve !
Philippe Chauveau : « L'ère des suspects » c'est votre actualité aux éditions Grasset Gilles Martin-Chauffier.
Gilles Martin-Chauffier
L'ère des suspects
Livre 6'32"Philippe Chauveau : Dans ce nouveau roman, Gilles Martin-Chouffier, « L'ère des suspects », vous nous emmenez dans une ville de banlieue qui s'appelle Versières, en région parisienne, une ville qui a sa cité appelée la « Cité noire ». Nous sommes en plein été 2016. L’attentat de Nice apparait d’ailleurs à certains moments du récit. Nous allons faire connaissance avec Côme. Côme est un jeune policier qui vient de sa Bretagne et pendant une journée il va devoir s'occuper d'une jeune stagiaire. Mais cet après-midi là, dans la cité, il y a un jeune français d'origine maghrébine, Driss, qui va mourir de façon un peu suspecte. C'est le point de départ de votre roman. Qu'avez-vous eu envie de nous raconter avec « L'ère des suspects » ?
Gilles Martin-Chauffier : J'avais envie de raconter la manière dont, dans notre société, le malheur des gens d’en bas fait le bonheur des gens d’en haut. Dans ce livre, un matin, on trouve un jeune beur le long d'une voie de chemin de fer, on se dit « la veille il a été poursuivi par un flic, est-ce que ce ne serait pas lié ? » A partir du moment où ceci est un fait, l'affaire échappe à la famille du jeune beur et au jeune flic ; la haute société s'empare du sujet. C'est ça le thème du livre, c'est comment le malheur des uns fait le bonheur des autres et comment, d'une certaine manière, la société française sert de matériau au CV des gens qui tiennent la société.
Philippe Chauveau : Nous sommes dans une ville fictive avec un fait divers fictif mais qui malheureusement est souvent présent dans nos journaux. Toutefois, vous situez votre action en juillet 2016, vous parlez de personnages connus, notamment le Président de la République d'alors, François Hollande. Pourquoi était-ce important que l'action se passe à ce moment là précisément ?
Gilles Martin-Chauffier : Je me suis rendu compte, quand j'ai écrit le livre, qu'à partir du moment où il y avait un mort, cela allait prendre des proportions énormes puisque c'est un jeune beur et c'est peu de temps après les évènements de Charlie. Le gouvernement ne veut à aucun prix qu'on ait l'air de croire qu'un flic puisse tuer un jeune beur impunément. Pour que cela ne prenne pas des proportions énormes, il fallait que l'attention soit détournée. Et comme quelques jours plus tard il y a l'attentat de Nice, immédiatement l'affaire de Versières qui est partie pour être énorme se calme parce que Nice attire l'attention. Cela m'arrangeait du point de vue romanesque qu'un autre événement puisse faire en sorte que cette aventure ne devienne pas énorme.
Philippe Chauveau : Vous nous l'avez expliqué, la construction de votre roman, ce sont tous les personnages qui prennent la parole les uns après les autres. Que ce soit la mère de Driss, ce jeune garçon que l'on retrouve mort, jusqu'au cabinet du ministre. Pourquoi avoir choisi cette écriture où chaque personnage intervient à tour de rôle ?
Gilles Martin-Chauffier : Parce que c'est le meilleur moyen de raconter la société française, c'est ça l'avantage du roman et c'est ça l'avantage de cette formule. Si moi, romancier français bourgeois, rédacteur en chef de Paris-Match, j'écris un roman sur un jeune flic qui est accusé d'avoir tué un jeune beur, on va m'attendre au tournant sur chaque phrase que j'emploierai. En revanche, je peux mettre un personnage journaliste qui dit des choses, un autre personnage politique qui dit des choses, je peux mettre une héroïne juive au bord de la piscine qui n'aime pas beaucoup les arabes et qui ne va pas se gêner pour le dire, je peux mettre des arabes antisémites... On va tolérer des choses dans la bouche des uns et des autres. On vit dans une société de fauves, les gens sont terribles et le roman serait le seul endroit où on doit être des herbivores et parler poliment ? Non ! Dans mon livre, ce que j'essaie de montrer, ce sont les fractures de la société française et comment les uns et les autres ne s'aiment pas. C'est pour ça que ça s'appelle « L'ère des suspects ». Si vous êtes beur, vous êtes suspect d'être favorable à Daesh ou suspect d'être dealer ou voyou potentiel ; si vous êtes flic, vous êtes suspect de détester les beurs ; si vous êtes politique, vous êtes suspect d'être corrompu ; si vous êtes journaliste, vous êtes suspect d'être de connivence avec la classe politique… Les français se méfient les uns des autres, c'est le thème du livre. En faisant parler les uns et les autres, cela permet d'avoir un portrait complet de la société française avec ses contrastes.
Philippe Chauveau : Au-delà des thématiques que vous abordez et que vous expliquez, la force de votre roman, c'est aussi les personnages qui prennent la parole et l'intrigue avec ce jeune Driss qui est mort et dont on cherche a comprendre pourquoi et comment. Tous ces personnages que l'on découvre qui parfois passent pour des victimes et parfois passent aussi pour des salauds. Ce n'est jamais noir, jamais blanc. Ils ont tous leurs petits secrets à quelque niveau qu'ils soient. C'est ce que vous aviez envie de nous raconter aussi, finalement, les plus hauts ne sont pas forcément les plus méchants et inversement.
Gilles Martin-Chauffier : Oui, c'est une réalité. Surtout, je pense que dans un roman tous les personnages ont des bons et des mauvais côtés, c'est ça la vie. Les romans dans lesquels le gentil est gentil du début à la fin et le méchant est méchant, pour moi c'est totalement ridicule, ce n'est pas la vie. Fitzgerald disait « Le propre de l'intelligence, c'est d'être contradictoire », c'est le propre de la vie d'être contradictoire. Et donc dans le livre, effectivement, même ceux qui ont l'air très méchants ont des bons côtés.
Philippe Chauveau : Lorsque vous parlez d' « une société qui enfile le duvet verbal, de cette classe dirigeante qui parle de cette recherche d'emploi quand on cherche à éviter la misère du chômage, du communautarisme quand on est confronté chaque matin au racisme, de quartiers sensibles quand on vit dans une décharge, des gens qui se croient remplis d'humanité parce qu'ils ont plein de mots pour masquer leur égoïsme ». C'est votre personnage qui parle ou c'est Gilles Martin-Chauffier ?
Gilles Martin-Chauffier : C'est Gilles Martin-Chauffier même si le personnage qui dit cela, c'est la mère du jeune beur. Comme moi, elle est exaspérée de la façon dont la France à un double langage. Elle a raison de dire qu'il y a une langue de bois politique et une langue de bois médiatique qui cachent complètement la réalité. C'est pour ça qu'il y a une frustration énorme dans la société française. Les gens savent qu'on ne leur parle pas de la réalité telle qu'ils la vivent.
Philippe Chauveau : C'est votre actualité Gilles Martin-Chauffier « L'ère des suspects ». C'est l'un de mes coups de cœurs de cette rentrée littéraire 2018, vous êtes publié chez Grasset. Merci beaucoup.
Gilles Martin-Chauffier : Je vous en prie.