Gilles Martin-Chauffier

Gilles Martin-Chauffier

L'ère des suspects

Livre 6'32"

Philippe Chauveau : Dans ce nouveau roman, Gilles Martin-Chouffier, « L'ère des suspects », vous nous emmenez dans une ville de banlieue qui s'appelle Versières, en région parisienne, une ville qui a sa cité appelée la « Cité noire ». Nous sommes en plein été 2016. L’attentat de Nice apparait d’ailleurs à certains moments du récit. Nous allons faire connaissance avec Côme. Côme est un jeune policier qui vient de sa Bretagne et pendant une journée il va devoir s'occuper d'une jeune stagiaire. Mais cet après-midi là, dans la cité, il y a un jeune français d'origine maghrébine, Driss, qui va mourir de façon un peu suspecte. C'est le point de départ de votre roman. Qu'avez-vous eu envie de nous raconter avec « L'ère des suspects » ?

Gilles Martin-Chauffier : J'avais envie de raconter la manière dont, dans notre société, le malheur des gens d’en bas fait le bonheur des gens d’en haut. Dans ce livre, un matin, on trouve un jeune beur le long d'une voie de chemin de fer, on se dit « la veille il a été poursuivi par un flic, est-ce que ce ne serait pas lié ? » A partir du moment où ceci est un fait, l'affaire échappe à la famille du jeune beur et au jeune flic ; la haute société s'empare du sujet. C'est ça le thème du livre, c'est comment le malheur des uns fait le bonheur des autres et comment, d'une certaine manière, la société française sert de matériau au CV des gens qui tiennent la société.

Philippe Chauveau : Nous sommes dans une ville fictive avec un fait divers fictif mais qui malheureusement est souvent présent dans nos journaux. Toutefois, vous situez votre action en juillet 2016, vous parlez de personnages connus, notamment le Président de la République d'alors, François Hollande. Pourquoi était-ce important que l'action se passe à ce moment là précisément ?

Gilles Martin-Chauffier : Je me suis rendu compte, quand j'ai écrit le livre, qu'à partir du moment où il y avait un mort, cela allait prendre des proportions énormes puisque c'est un jeune beur et c'est peu de temps après les évènements de Charlie. Le gouvernement ne veut à aucun prix qu'on ait l'air de croire qu'un flic puisse tuer un jeune beur impunément. Pour que cela ne prenne pas des proportions énormes, il fallait que l'attention soit détournée. Et comme quelques jours plus tard il y a l'attentat de Nice, immédiatement l'affaire de Versières qui est partie pour être énorme se calme parce que Nice attire l'attention. Cela m'arrangeait du point de vue romanesque qu'un autre événement puisse faire en sorte que cette aventure ne devienne pas énorme.

Philippe Chauveau : Vous nous l'avez expliqué, la construction de votre roman, ce sont tous les personnages qui prennent la parole les uns après les autres. Que ce soit la mère de Driss, ce jeune garçon que l'on retrouve mort, jusqu'au cabinet du ministre. Pourquoi avoir choisi cette écriture où chaque personnage intervient à tour de rôle ?

Gilles Martin-Chauffier : Parce que c'est le meilleur moyen de raconter la société française, c'est ça l'avantage du roman et c'est ça l'avantage de cette formule. Si moi, romancier français bourgeois, rédacteur en chef de Paris-Match, j'écris un roman sur un jeune flic qui est accusé d'avoir tué un jeune beur, on va m'attendre au tournant sur chaque phrase que j'emploierai. En revanche, je peux mettre un personnage journaliste qui dit des choses, un autre personnage politique qui dit des choses, je peux mettre une héroïne juive au bord de la piscine qui n'aime pas beaucoup les arabes et qui ne va pas se gêner pour le dire, je peux mettre des arabes antisémites... On va tolérer des choses dans la bouche des uns et des autres. On vit dans une société de fauves, les gens sont terribles et le roman serait le seul endroit où on doit être des herbivores et parler poliment ? Non ! Dans mon livre, ce que j'essaie de montrer, ce sont les fractures de la société française et comment les uns et les autres ne s'aiment pas. C'est pour ça que ça s'appelle « L'ère des suspects ». Si vous êtes beur, vous êtes suspect d'être favorable à Daesh ou suspect d'être dealer ou voyou potentiel ; si vous êtes flic, vous êtes suspect de détester les beurs ; si vous êtes politique, vous êtes suspect d'être corrompu ; si vous êtes journaliste, vous êtes suspect d'être de connivence avec la classe politique… Les français se méfient les uns des autres, c'est le thème du livre. En faisant parler les uns et les autres, cela permet d'avoir un portrait complet de la société française avec ses contrastes.

Philippe Chauveau : Au-delà des thématiques que vous abordez et que vous expliquez, la force de votre roman, c'est aussi les personnages qui prennent la parole et l'intrigue avec ce jeune Driss qui est mort et dont on cherche a comprendre pourquoi et comment. Tous ces personnages que l'on découvre qui parfois passent pour des victimes et parfois passent aussi pour des salauds. Ce n'est jamais noir, jamais blanc. Ils ont tous leurs petits secrets à quelque niveau qu'ils soient. C'est ce que vous aviez envie de nous raconter aussi, finalement, les plus hauts ne sont pas forcément les plus méchants et inversement.

Gilles Martin-Chauffier : Oui, c'est une réalité. Surtout, je pense que dans un roman tous les personnages ont des bons et des mauvais côtés, c'est ça la vie. Les romans dans lesquels le gentil est gentil du début à la fin et le méchant est méchant, pour moi c'est totalement ridicule, ce n'est pas la vie. Fitzgerald disait « Le propre de l'intelligence, c'est d'être contradictoire », c'est le propre de la vie d'être contradictoire. Et donc dans le livre, effectivement, même ceux qui ont l'air très méchants ont des bons côtés.

Philippe Chauveau : Lorsque vous parlez d' « une société qui enfile le duvet verbal, de cette classe dirigeante qui parle de cette recherche d'emploi quand on cherche à éviter la misère du chômage, du communautarisme quand on est confronté chaque matin au racisme, de quartiers sensibles quand on vit dans une décharge, des gens qui se croient remplis d'humanité parce qu'ils ont plein de mots pour masquer leur égoïsme ». C'est votre personnage qui parle ou c'est Gilles Martin-Chauffier ?

Gilles Martin-Chauffier : C'est Gilles Martin-Chauffier même si le personnage qui dit cela, c'est la mère du jeune beur. Comme moi, elle est exaspérée de la façon dont la France à un double langage. Elle a raison de dire qu'il y a une langue de bois politique et une langue de bois médiatique qui cachent complètement la réalité. C'est pour ça qu'il y a une frustration énorme dans la société française. Les gens savent qu'on ne leur parle pas de la réalité telle qu'ils la vivent.

Philippe Chauveau : C'est votre actualité Gilles Martin-Chauffier « L'ère des suspects ». C'est l'un de mes coups de cœurs de cette rentrée littéraire 2018, vous êtes publié chez Grasset. Merci beaucoup.

Gilles Martin-Chauffier : Je vous en prie.

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  • LIVRE
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