Marie-Hélène Lafon

Marie-Hélène Lafon

Histoire du fils

Livre 00'07'36"

Philippe Chauveau :

Voilà un livre assez peu épais, mais il y en a des choses dedans, sur le plan de l'écriture. Bien sûr, on y reviendra, puis aussi sur cette histoire de famille que vous racontez. Nous sommes dans vos terres, au centre de la France, que vous connaissez bien. Et puis, ce fils, c'est André dont on va suivre le parcours. André est né d'une aventure de sa mère, Gabrielle. Ce n'est pas elle qui va l'élever puisqu'elle préfère vivre sa vie Parisienne avec un P majuscule. Il va être élevé par son oncle et sa tante. On va suivre son parcours sur plusieurs décennies. Comment naît-elle cette histoire du fils?

Marie-Hélène Lafon :

Elle naît comme toutes mes autres histoires, si tant est que mes livres racontent des histoires. Elle naît, comme tous les autres livres, du réel. C'est le réel qui m'empoignent. Été 2012, 1er août, surgissement dans une famille qui m'est contigüe depuis que j'ai 14 ans. Depuis très, très longtemps. Une famille qui m'est très proche, mais qui n'est pas la mienne. Dans cette nébuleuse familiale, qui m'est très proche, surgit ce qu'on appelle une histoire de famille. C'est à dire, arrive un homme qui a 88 ans, qui est accompagné de son fils qui a une cinquantaine d'années. Cet homme dit « Je suis le fils de l'oncle... ». Un oncle que tout le monde a bien connu, moi aussi, et qui est mort depuis des années. Il était prétendument mort sans enfant. Cet homme arrive, dit je suis son fils et personne ne peut le remettre en doute une seule seconde. Le corps parle, ses mains, ses poignets, ses gestes, sa voix, ses intonations, ses inflexions, son visage.

Philippe Chauveau :

Tout est là.

Marie-Hélène Lafon :

Evidemment. Il n'y a pas une seconde d'hésitation. C'est de là que ça part. Ce qui est amusant, si vous voulez, c'est qu'en 2012, j'ai déjà publié plusieurs livres et cette famille-amie, qui m'est très, très proche, me lit etc... Et on me dit immédiatement "tu racontera cette histoire".

Philippe Chauveau :

Vous vous êtes senti un devoir de raconter cette histoire parce que cette histoire, elle pourrait être celle de mille et cents familles.

Marie-Hélène Lafon :

Justement, c'est une des raisons pour lesquelles je me suis dit « c'est du pain béni une histoire pareille ». Elle est pour moi. Elle me saute dessus. Elle m'empoigne. De surcroît, on me demande de le raconter. Et moi, j'en ai envie. Il n'eut pas suffi qu'on me le demanda, je ne fais pas tout ce qu'on me demande. Mais là, pour le coup, je me suis dit évidemment.

Philippe Chauveau :

Ce n'est pas une saga familiale parce que vous n'allez pas chronologiquement nous raconter des générations qui se succèdent. On va aller d'une période à une autre. Justement, comment avez-vous construit cette histoire? Est-ce que dès le départ, vous saviez comment ça allait se passer? Ou est-ce que finalement, ce sont les personnages qui vous ont dit raconte ça plutôt, fais comme ça...

Marie-Hélène Lafon :

J'ai attendu que le travail de décantation se fasse. Je ne prends pas de notes et je ne pose pas de questions. Je ne fais pas d'interviews, pas d'enregistrement, pas de travail de documentation. J'attends. Je vis cette histoire. J'en suis le témoin. Je laisse passer du temps, beaucoup de temps, largement plus d'une année. Et ensuite, j'ouvre le chantier.

Philippe Chauveau :

Vous l'avez dit, il y a toute une galerie de personnages, et ce fils qui donne le titre, c'est André. Il y a beaucoup de monde qui gravite autour de lui. J'aimerais qu'on évoque ce personnage féminin de Gabrielle. Il y a une sorte de rendez-vous manqué entre André et sa mère, entre la mère et fils. Puisque Gabriel, elle, ne rêve que de la ville lumière et elle fait des allers retours entre sa région d'origine et Paris. Qui est-elle, cette femme?

Marie-Hélène Lafon :

C'est une femme qui est née, fille de paysans, sur un plateau carabinée dans le Lot. Elle est née au début du siècle, même un peu avant, puisque elle a 32 ans en 1919. Ce n'est pas un début parfaitement parfait pour inventer une vie libre. Et d'emblée, elle est perçue par sa famille, ses propres parents qui s'en désole, comme une pouliche, un cheval échappé, c'est-à-dire qu'elle ne veut pas faire ce qu'on attend à cette époque là et dans ce milieu là d'une femme. C'est-à-dire se marier, faire des enfants et faire une bonne épouse. Elle ne veut pas ça. Elle devient infirmière à l'arrache, à la force du poignet et ensuite, à la faveur de circonstances et de péripéties elle va en effet gagner Paris. Et alors là, elle va se rendre compte que Paris, c'est sa ville. C'est le lieu où elle peut inventer sa liberté. Elle va d'ailleurs cesser d'exercer le métier d'infirmière pour lequel elle n'avait aucune disposition et elle se retrouve enceinte. Elle se retrouve enceinte sur le tard. Fille mère, en 1920, à plus de 30 ans. Alors elle fait cette chose inouïe, pas de faiseuse d'anges, on ne fera pas passer l'enfant, comme on disait, il va vivre que cet enfant. Elle sait que ça sera un garçon et elle va le donner en quelque sorte, le confier à sa soeur.

Philippe Chauveau :

Ce n'est pas un abandon parce qu'elle va quand même le voir très régulièrement, en revanche, elle va lui cacher tout un pan de son existence. Et c'est le propos même du roman.

Marie-Hélène Lafon :

Jusqu'à un certain moment, elle ne lâchera rien sur le père.

Philippe Chauveau :

C'est toute cette histoire que vous nous racontez sur plusieurs décennies. Parlons également de l'écriture que vous avez choisi. Tout est dans la narration. Les dialogues, n'ont pas vraiment leur place dans cette histoire. La narration est là. Il y a des pages d'une grande poésie. Et les paysages, il y a des ambiances que vous prenez plaisir, me semble-t-il, à nous dépeindre. Justement, là encore, comment travaillez-vous pour laisser de côté vos personnages et votre histoire et pour créer un univers dans lequel ils vont évoluer?

Marie-Hélène Lafon :

Quand on me demande comment je travaille, je dis toujours que je travaille beaucoup, mais il ne faut pas que ça sente si possible. En faite j'attends beaucoup. J'eusse aimé être peintre, l'écriture est une affaire de matière. Il faut incarner le monde. Sacré programme. Donc, il faut des odeurs, il faut des sensations. Il faut que les choses apparaissent, que la chaleur apparaisse, qu'elle soit sensible, qu'elle sorte de la page, que les silences aussi. Ce qu'on ne dira pas, les odeurs des maisons, oui les maisons ont des odeurs, par exemple. Il faut que tout ça soit sur la page. Mon travail, c'est d'attendre beaucoup et de malaxer beaucoup la matière textuelle, donc de lire à voix haute. Ça, c'est vraiment mon travail principal. Je lis toutes les phrases à voix haute, je déplace une virgule, j'enlève un adjectif de deux syllabes, à la place, je mets deux adjectifs d'une syllabe. C'est une question de rythme musical. Pour tenter d'être plus juste, au plus serré, je tiens beaucoup à cette question de la densité. Il faut que la phrase ait le juste rythme et la juste tension pour que le monde s'y engouffre. C'est un gros travail, c'est une ambition démesurée.

Philippe Chauveau :

Finalement, vous peignez des tableaux vivants?

Marie-Hélène Lafon :

Ah oui, alors ça, peintre de tableaux vivants ça m'irait parfaitement bien, comme définition de ce que je tente de faire.

Philippe Chauveau :

Votre actualité, Marie-Hélène Lafon, c'est votre nouveau livre en sélection dans plusieurs listes de prix. Et c'est largement mérité. C'est aux éditions Buchet Chastel. Ça s'appelle Histoire du fils. Merci beaucoup.

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  • Depuis son premier titre en 2001, « Le soir du chien », Marie-Hélène Lafon est restée fidèle à son éditeur Buchet-Chastel. Par la qualité de son écriture, son travail sur les mots et la syntaxe mais aussi par les histoires dont elle s’empare, telle une conteuse, elle a fédéré autour d’elle un public fidèle, libraires ou des lecteurs, sensible à son écriture développée dans plus d’une douzaine de titres dont « Sur la photo », « L’annonce » ou « Nos vies », des romans qui font partie d’une...Les sources de Marie-Hélène Lafon - Présentation - Suite
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