Madeleine Chapsal

Madeleine Chapsal

La mort rôde

Le livre 4'06
Philippe Chauveau :
Bonjour Madeleine Chapsal, un nouveau titre chez Fayard, « La mort rôde ». Avant de parler de ce nouveau livre, quel roman que votre vie ! Vous avez souvent raconté aussi dans vos livres votre enfance, votre jeunesse, une enfance choyée. On sent que vous avez été très aimée et puis il y a la couture qui a été très présente.

Madeleine Chapsal :
Je suis née dans la haute couture. Ma mère travaillait à ce moment-là chez Vionnet, avenue Montaigne. Et j'ai connu ce monde qui était un monde d'un luxe qu'on a oublié, d'un raffinement dans l'habillement, mais aussi du travail, de la discipline...

Philippe Chauveau :
Votre vie ensuite, on la connaît bien évidemment, c'est le journalisme, puis ensuite l'écriture. C'est aussi votre vie de femme avec ce mariage avec Jean Jacques Servan-Schreiber, puis la création de « L'Express ». Quelles sont les images qui reviennent quand vous évoquez ce passé, cette période ?

Madeleine Chapsal :
Vous savez, il se trouve que j'ai eu la tuberculose, vous voyez ce n'était pas tout à fait tout rose quand j'ai eu 13 ou 14 ans, et on m'a envoyée pendant la guerre à Megève. Alors, Megève était une station qui était en zone non occupée où il y avait énormément de juifs réfugiés ou de gens qui, pour une raison ou une autre, fuyaient les Nazis. Et ma tante Chapsal, qui avait épousé un juif, s'était réfugiée là. Je me suis retrouvée, chez ma tante, dans la neige, dans un endroit où enfin on mangeait, il y avait des fermes, et j'ai rencontré pour la première fois Jean Jacques et sa famille parce qu'eux aussi étaient là, dans leur chalet. Je dis souvent, pour moi la guerre est une espèce de libération : je suis sortie de la couture, je suis sortie de ma famille, de femmes très serrées sur elles-mêmes, pour me retrouver dans les montagnes. Il y avait des garçons, on dansait l'après midi, c'était tout à fait étonnant.

Philippe Chauveau :
Vous rencontrez Jean-Jacques Servan-Schreiber, vous vous mariez...

Madeleine Chapsal :
Je l'ai retrouvé après la guerre. Parce que lui, je ne l'ai pas vu longtemps, il est parti rejoindre De Gaulle en Afrique du Nord. Nous, nous sommes rentrés à Paris parce que, quand il n'y a plus eu de zone occupée, c'est devenu dangereux, il y a eu de la dénonciation. J'ai écrit un petit livre sur la Guerre qui s'appelle « Noces avec la vie » qui raconte tout cela. Puis j'ai retrouvé Jean-Jacques à Paris au mariage d'une amie, et ça a été le coup de foudre. En tout les cas entre lui et moi.

Philippe Chauveau :
Evidemment, on ne peut pas ne pas parler de « L'Express », vous avez participé à la création de ce journal qui est devenu maintenant un magazine et vous avez-vous-même écrit pour « L'Express ».

Madeleine Chapsal :
Dès le premier numéro ! Jean-Jacques faisait toujours travailler les personnes qui étaient autour de lui, soit sa famille, ses frères, ses sœurs, les femmes de sa vie et moi !

Philippe Chauveau :
C'est là que vous avez pris goût à l'écriture ou vous l'aviez déjà ?

Madeleine Chapsal :
Oh non, j'ai pris goût à l'écriture à 15 ans parce que pour moi l'écriture c'était ma défense contre le monde qui m'entourait. Cela a toujours été… Ca continue ! Dès que j'ai un problème, mes amis se moquent de moi, j'écris un livre.

Philippe Chauveau :
Mais finalement vous avez attendu 1973 pour publier votre premier livre ?

Madeleine Chapsal :
Vous savez, j'ai écrit mon premier livre en été, comme à, à l'Ile de Ré. J'étais avec ma mère qui était malade, qui dormait beaucoup. Que faire ? J'ai commencé à écrire un petit livre, je suis rentrée à Paris, j'ai mis le manuscrit dans le partie basse de ce meuble et je n'y ai plus pensé. Et c'est Renaud Matignon, qui était un éditeur de l'époque, qui est venu chez moi et qui m'a dit : « Mais vous n'écrivez jamais autre chose que des articles ? ». Je lui ai dit : « Si mais cela n'en vaut pas la peine ». Il m'a dit : « Donnez le moi ». Il me l'a pris et j'ai eu quelques semaines après, chez moi, Simone Gallimard avec un contrat. Ils ont publié comme cela mon premier livre : « Un été sans histoire »

Philippe Chauveau :
Il y a une autre facette de votre personnalité que l'on connaît peut être moins ; il y a les livres jeunesse et puis il y a le dessin. Ca, c'est votre autre passion le dessin.

Madeleine Chapsal :
Vous savez, j'ai commencé en dessinant. J'écrivais un peu, je tenais des journaux intimes, mais surtout je dessinais. Je faisais des dessins très noirs, très violents. Et puis peu à peu c'est devenu plus coloré. Je faisais même des livres pour enfants

Philippe Chauveau :
C'est une autre façon pour vous d'exprimer votre ressenti ? C'est différent de l'écriture !

Madeleine Chapsal :
Oui tout à fait, cela me repose de l'écriture.

Philippe Chauveau :
S'il y avait un mot pour définir votre besoin d'écrire

Madeleine Chapsal :
Je crois que, j'ai souvent pensé, j'ai même écrit un livre « Oser écrire » pace qu'il fallait d'abord oser écrire à mon époque, les femmes n'osaient pas écrire comme elles écrivent maintenant. C'est une manière de mettre à distance ce que je ressens, que ce soit mes chagrins, mes regrets, mes bonheurs. Puis vous savez, je crois qu'il n'y a qu'une seule chose qui reste, ce sont les livres. Tout disparaît, les gens disparaissent, les lieux disparaissent. Qu'est-ce qui reste ? Que ce soit pour moi ou pour l'Humanité, restent les livres...

Philippe Chauveau :
Donc écrire, c'est un besoin de laisser une trace ?

Madeleine Chapsal :
C'est en tous les cas ce que l'on laisse.

Philippe Chauveau :
Merci Madeleine Chapsal, je rappelle votre actualité, chez Fayard, « La mort rôde ».
Philippe Chauveau :
Madeleine Chapsal, merci de nous recevoir chez vous, dans votre appartement pour votre nouveau titre qui sort chez Fayard, « La mort rôde ». Comment le qualifieriez-vous ? C'est un essai, c'est un récit ? Quel titre pourrait-on lui donner ?

Madeleine Chapsal :
C'est une espèce de constatation ! Que la mort nous attende tous, et que ce soit universel, ça, je le savais. Mais je n'y pensais pas beaucoup et j'ai réfléchi aux fins de vies. Je me dis souvent, les fins de vie ne sont pas du tout ce qu'ont été les débuts. Beaucoup de gens ont eu le succès, l'argent, la gloire, la célébrité et ont eu des fins de vies terribles. Que ce soit par la maladie. Rien que quelqu'un qui m'est très proche comme Jean-Jacques Servan-Schreiber qui a perdu la mémoire, comme d'autres amis qui ont Parkinson, je ne parle même pas du cancer qui est devenu une épidémie et tout à coup j'ai eu envie de parler de la mort dont on ne sait jamais quand elle va vous arriver, ça ne prévient pas ou pas toujours, si ça sera ou doux ou, au contraire, féroce.

Philippe Chauveau :
Curieusement, vous évoquez la mort dans ce livre, mais je trouve que la vie est aussi très présente parce que vous faites renaître beaucoup de vos proches. Et sous votre plume, ils sont très vivants. Est-ce que c'était cette envie de les faire renaître, en quelque sorte, par les mots ?

Madeleine Chapsal :
Vous savez, chacun pense ce qu'il veut de l'après-vie, et plus ou moins, on la rêve, on l'imagine, on la souhaite, comme on voudrait qu'elle soit. Et moi j'ai le sentiment que tous les gens que j'ai perdus, ils sont encore là, ils sont autour de moi d'une certaine façon. Françoise Dolto par exemple, qui a eu une mort remarquable de sérénité, m'a dit : « Je ne t'abandonnerai jamais ». Et bien je la sens profondément autour de moi.

Philippe Chauveau :
La mort ne vous fait pas peur ? En tous les cas dans le livre, cela ne transparait pas.

Madeleine Chapsal :
Pour l'instant, la mort, la mienne ne me fait pas peur. Il m'est arrivé de la souhaiter quand je trouvais que c'était trop dur, trop angoissant, mais je ne peux pas dire dans quel état je serai quand elle sera vraiment là ; nous ne pouvons pas le dire. Et puis, je suis allée me trouver ma concession perpétuelle

Philippe Chauveau :
C'est amusant cette situation quand vous écrivez que vous allez bras dessus, bras dessous sous la pluie au cimetière

Madeleine Chapsal :
Avec un jeune homme de la mairie de mon petit bourg d'Eymoutiers, sous la pluie, cherchant le meilleur lieu, avec la meilleure vue...

Philippe Chauveau :
C'est en cela que votre livre est plein de vie !

Madeleine Chapsal :
Je suis contente que vous le preniez comme cela. Cela me fait plaisir car je trouvais le titre un peu dur. Je me disais, il y a des gens qui ne vont pas vouloir le lire ou l'acheter et finalement il marche.

Philippe Chauveau :
Écrire sur la mort, sur vos morts, c'était cela, comme vous l'écrivez, votre tâche de vivante, votre rôle aujourd'hui ?

Madeleine Chapsal :
Je suis contente de l'avoir fait. Et puis souvent, il y a des gens qui pensent de moi que je suis un écrivain à l'eau de rose, genre « Harlequin ». Alors, je réponds : « Oui, j'ai écrit « La mort rôde » ; cela doit entrer dans ce que vous dites ! Et là, ils ne savent plus que me répondre parce que ce n'est pas vrai. J'ai écrit des livres durs. « Une soudaine solitude » est un livre dur, « Une certain âge », ce n'est pas très gai non plus.

Philippe Chauveau :
Est-ce que cela veut dire que ce livre a une place particulière dans votre bibliographie, que vous voudriez qu'il soit révélateur de ce que vous êtes.

Madeleine Chapsal :
Oui, je pense que c'est un tournant quand même. Il y a d'autres choses que j'ai envie d'écrire encore. Je me contente de dire : « Tant que la vie a encore envie de passer à travers moi, je la laisse faire ». C'est elle qui décide, ce n'est pas moi !

Philippe Chauveau :
Merci beaucoup, Madeleine Chapsal pour cette jolie rencontre. « La mort rôde », c'est votre nouveau titre, en attendant les prochains, et c'est aux éditions Fayard.

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  • Quel roman que la vie de Madeleine Chapsal ! Elle qui fut pendant 15 ans l'épouse de Jean-Jacques Servan Schreiber avec qui elle fonda L'express, a toujours été une grande amoureuse, portant sur la vie un regard libre, faisant fi des préjugés. Et ses romans reflètent ses propres expériences entre bonheur intense et désillusions. Journaliste, c'est en 1973 que Madeleine Chapsal publie son 1er livre, Un été sans histoire. Depuis, on lui doit une cinquantaine de titres, tous succès de librairie, comme Adieu l'amour, La femme...La romancière est décédée à l’âge de 98 ans le 12 mars 2024 de Madeleine Chapsal - Présentation - Suite
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