Denis Lemasson a été pendant plusieurs années membre de Médecins sans frontières dans des pays en crise, notamment en Afghanistan. La lecture a toujours fait partie de son quotidien, il en a même fait sa thèse « L'apport de la littérature en médecine ». Aujourd'hui installé à Paris, et après un premier roman, « Les routes fantômes », Denis Lemasson publie chez Plon « Nous traverserons ensemble ». Ce roman est au cœur de l'actualité. Un dimanche matin, dans un square parisien, Luc, un médecin, vient en aide à un jeune homme, afghan, prénommé Zaher, qui a été poignardé. Le garçon meurt dans ses bras et Luc n'aura de cesse de chercher à savoir par qui et pourquoi le jeune Zaher a été tué. De ce point de départ, Denis Lemasson construit une intrigue qui nous mène des endroits les plus improbables de Paris aux faubourgs de Kaboul en passant par le Pakistan, la Turquie, l'Iran, l'Italie et même Calais et sa terrible jungle. Qui sont-ils ces hommes ces femmes, qui fuient leur pays pour se réfugier chez nous ? Quel fut leur parcours, à quelle détresse ont-ils été confrontés et dans nos rues, face à notre indifférence ou à notre hostilité, comment vivent-ils, comment gardent-ils leur dignité d'être humain ? Un roman fort, puissant, dérangeant, construit comme un roman noir, comme un polar avec un meurtre, une enquête, un jugement mais surtout un livre indispensable qui nous invite à la réflexion et à questionnement sur nous-même, quand chaque jour, de nouveaux migrants arrivent dans nos villes.
« Nous traverserons ensemble » de Denis Lemasson aux éditions Plon, un livre que je vous recommande tout particulièrement.

Philippe Chauveau :

Bonjour Denis Lemasson, vous êtes dans l'actualité avec ce deuxième roman, il y avait eu précédemment « Les routes fantômes » , voici aujourd'hui « Nous traverserons ensemble » aux éditions Plon. On va faire un petit peu connaissance, la littérature fait partie de votre univers mais il y a un autre domaine c'est la médecine. Vous avez pendant plusieurs années collaboré à Médecin Sans Frontières, aujourd'hui vous êtes installé à Paris, comment la médecine est-elle entrée dans votre vie ?

Denis Lemasson :

C'est une maladie héréditaire ! Mon père était médecin généraliste dans un petit village de Gironde, j'ai été très marqué par son parcours, quand j'étais petit je l'accompagnais dans ses visites de nuit. Puis il y a les rêves d'adolescents avec la montée de la médecine humanitaire en France et j'étais assez séduit par cet ajout politique à la dimension éthique déjà très forte de la médecine, qui était de prendre l'argent ou il y en a, pour le redistribuer dans le monde où il n'y avait pas accès aux soins.

Philippe Chauveau :

Vous avez été dans plusieurs pays en conflit, vous avez travaillé un an en Afghanistan. Quand on s'engage dans l'humanitaire, y a-t-il une chose que l'on fuit à titre personnel ?

Denis Lemasson :

C'était moins une fuite, que la volonté de comprendre des choses qui ne m'étaient pas données au départ. Il y avait un vrai désir de connaître le monde puis me confronter à des choses qui sont tabous dans notre société, comme la violence des guerres, le rapport entre ma petite vie de français occidental et ma place dans ce monde, avec une certaine idée d'être citoyen du monde.

Philippe Chauveau :

Pourquoi avoir fait le choix d'arrêter cet engagement humanitaire pour rentrer en France, vous installer, ouvrir un cabinet ?

Denis Lemasson :

Il y a plusieurs évènements qui ont fait que j'ai arrêté, tout d'abord je pense que l'on a le droit à plusieurs vies, et après huit ans de collaborations avec Médecin Sans Frontières, j'avais envie de revenir à une médecine duelle où je suis seul avec un patient. Et le plus important peut-être, j'ai eu la chance d'être papa, et cela devenait plus compliqué de traverser des lignes de front, de m'exposer à des zones de guerre.

Philippe Chauveau :

Vous l'avez dit, « on peut avoir plusieurs vies », il y a une autre facette de votre personnalité, c'est la littérature. Vous avez fait votre thèse sur l'apport de la littérature dans la médecine, vous avez une bibliothèque chez vous depuis toujours ?

Denis Lemasson :

Oui, la littérature aide à mieux vivre et j'ai eu cette chance de rencontrer la littérature très tôt, et j'ai eu en effet des vrais chocs littéraires dans l'adolescence.

Philippe Chauveau :

Par exemple ?

Denis Lemasson :

Il y a deux textes qui m'ont fait voir les choses différemment, il y a eu Camus avec « L'étranger » et « Voyage au bout de la nuit » de Céline.

Philippe Chauveau :

On l'aura compris, médecine et littérature sont deux fondamentaux de votre existence. Aujourd'hui, vous travaillez une semaine sur deux en médecine, et l'autre semaine est consacrée à l'écriture, comment envisagez-vous votre parcours d'auteur ?

Denis Lemasson :

Comme la vie, le parcours littéraire est une aventure, je ne suis pas sûr qu'on puisse prévoir ça comme un plan de carrière mais je suis habité par des textes en cours d'écriture, et j'espère pouvoir mener ces travaux jusqu'au bout.

Philippe Chauveau :

On va vous suivre avec beaucoup d'intérêt, en tout cas. Voici votre deuxième roman, Denis Lemasson, vous publiez chez Plon, « Nous traverserons ensemble ».

Philippe Chauveau :

Dans ce nouveau titre Denis Lemasson, nous faisons connaissance avec Luc. Il a été médecin pour des organisations humanitaires, il est dans un square parisien, avec sa filles Manon, et puis il y a un drame, un jeune homme est étendu sur le sol, Luc va essayer de le sauver sans succès, il va mourir dans ses bras, ce jeune homme est Afghan. C'est le point de départ de votre roman, et Luc va essayer au fil des pages de remonter l'histoire de ce jeune homme. Votre roman va nous éclairer sur le sort des migrants, sur ces hommes qui viennent des quatre coins du monde pour chercher une vie meilleur. Une première question obligatoire, ce personnage de Luc vous ressemble beaucoup, est-on vraiment dans un roman ?

Denis Lemasson :

Nous sommes dans un roman oui, c'est une fiction, ceci dit j'ai bien quelques points communs avec Luc mais nous avons des différences. Au départ du roman il y a un événement bien réel, donc un événement traumatisant, un dimanche matin, dans un moment intime de complicité avec ma fille, donc très troublant et j'ai eu l'impression de me faire rattraper par la violence politique en plein Paris.

Philippe Chauveau :

En utilisant ce fait dramatique comme point de départ de votre roman, était-ce un moyen pour vous de redonner vie à ce jeune homme mort dans vos bras ?

Denis Lemasson :

J'ai fermé les yeux de beaucoup d'enfants et de personnes pendant ces huit années de médecine humanitaire et j'ai eu peut-être le besoin de réparer cela. Quand j'ai découvert le nom de ce jeune homme, je me suis dit que j'allais raconter une histoire mais une histoire complète, en m'arrêtant pour comprendre ce qu'il s'était passé.

Philippe Chauveau :

Voilà donc le point de départ de ce roman. Vous allez nous raconter une histoire à travers Zaher, mais surtout c'est un roman coup de poing et un peu dérangeant car vous obligez le lecteur à ouvrir les yeux sur cette détresse, sur cette misère humaine qui nous entoure. Vous aviez envie de déranger votre lecteur en racontant la vie de ces personnes que l'on croise dans nos rues ?

Denis Lemasson :

Pour répondre à la question de savoir qui était Zaher, j'ai mené une enquête pendant un an, le long du canal Saint Martin pour comprendre qui il était, et j'ai rencontré tous ceux qui pouvaient me raconter l'histoire du square Villemin. Et cette enquête m'a fait découvrir des lieux de mon quotidien que je n'avais jamais vus. Où dorment les réfugiés quand ils arrivent à Paris, où se lavent-ils, etc... Tout un monde invisible à mes yeux. Cela m'a amené à comprendre qu'il y a un nombre important de stratégies policières, politiques, conscientes ou inconscientes, pratiquées par chacun d'entre nous pour le rendre invisible. Et puis peut-être que la principale frontière est en nous-mêmes, c'est à dire qu'on en parle beaucoup mais on en parle très mal. Mes premiers lecteurs me disent « je savais pas ».

Philippe Chauveau :

La force du livre est aussi de raconter toutes ces histoires, car vous nous parlez de ce Paris avec ces exilés et puis surtout vous nous racontez tout ce qui s'est passé avant, qui ils étaient dans leur propres pays, comment ont-ils fait pour fuir la guerre, comment passe t-on d'une frontière à une autre, et c'est cela qui est dur, car quand on croise un migrant dans la rue, on a du mal à penser à la personne qu'il a pu être avant.

Denis Lemasson :

Le roman est conçu dans un va et vient permanent entre Paris et cet ailleurs, l'Afghanistan, incarné par ces deux narrateurs principaux, il y a un traducteur et on va le suivre tout au long de son périple, qui passera du Pakistan, à la Grèce en passant par l'Iran et la Turquie.

Philippe Chauveau :

Si l'on revient sur le plan plus littéraire, vous avez réussi à construire une intrigue que l'on suit un peu comme un polar, un peu comme un roman noir parce que Luc va essayer de savoir pourquoi ce jeune Zaher est mort et le lecteur va suivre l'histoire de page en page comme un roman noir.

Denis Lemasson :

Oui et pour moi c'était important de trouver une forme qui serve le mieux le propos. J'ai eu ce souci permanent, non pas de parler à leur place mais de les faire parler. L'idée du roman est aussi que nous sommes faits du discours de l'autre et nous avons besoin de leur histoire comme ils ont besoin de la nôtre et en confrontant nos histoires, nous pourrons essayer de nous comprendre.

Philippe Chauveau :

C'est un livre dont on ne sort pas indemne lorsqu'on est lecteur, c'est un livre dont on ne sort peut-être pas non plus indemne lorsqu'on est l'auteur ?

Denis Lemasson :

Non, on n'en sort pas indemne. L'une des fonctions de la littérature est bien de nous déranger, de nous faire bouger. Je pense que l'auteur et le lecteur ont en commun d'être transformés par l'écriture et la lecture du roman. Un roman réussi est un roman qui a la capacité de transformer notre regard et cette transformation permet d'avoir une vision différente du monde.

Philippe Chauveau :

Voilà un livre que je vous recommande tout particulièrement, le nouveau titre de Denis Lemasson « Nous traverserons ensemble », aux éditions Plon, merci beaucoup.

Denis lemasson :

Merci à vous.

Dans un premier temps j'ai fini le roman mitigé, je me suis dit que ça avait un petit côté polar, mais je m'attendais à une chute plus spectaculaire. Mais ensuite, j'ai appris que l'histoire était vraie, et ça change tout, parce que la vie n'est pas forcément exceptionnelle, même si ce qu'a vécu cet homme est très intéressant. L'autre point fort c'est la manière dont il retrace le départ de jeunes d'Afghanistan et comment ils arrivent jusqu'à Paris avec toutes ces difficultés. Ce livre met en relief un trajet dont on a aucune conscience ici. Je recommande ce roman à mes clients, quand on me demande un polar sympa ou un roman actualité.