Philippe Delerm

Philippe Delerm

Les eaux troubles du mojito

Livre 5'41

Philippe Chauveau

Philippe Delerm, on vous a connu comme romancier. Il y avait eu Sundborn ou les jours de lumières, plus récemment, Elle marchait sur un fil. Mais c'est vrai que lorsque l'on cite votre nom, Philippe Delerm, instinctivement vient La première gorgée de bière, viennent ces textes courts. Est-ce qu'il y a une définition sur cette écriture. Est-ce que c'est un genre à part entière, est-ce que ce sont des mini-nouvelles ? Comment traduisez-vous votre travail ?

Philippe Delerm

Il n'y a pas de terme. Je le regrette un petit peu, mais en fait, on n'a jamais trouvé mieux que texte court. Ce ne sont vraiment pas des nouvelles parce que dans la nouvelle il y a quand même l'idée de raconter une histoire, souvent aussi dans la nouvelle française, d'avoir une chute. Ce ne sont pas des fragments parce que ça ne fait pas partie d'un tout, sauf si on considère que ce tout, c'est la vie même et là alors oui, ce serait des fragments. L'adjectif fractal me paraît par contre, tout en étant prétentieux, me paraît juste parce qu'il y a quand même cette idée que saisir le minuscule atome de neige, c'est saisir un peu toute la structure de la neige en même temps. Donc il y a un petit peu de ça derrière, bien sûr, cette façon d'appréhender aussi des choses dont je me dis que l'on n'a pas parlé encore en littérature. Parfois je me suis trompé. Par exemple dans La première gorgée de bière, j'ai écrit sur le bruit de la dynamo sur le pneu d'un vélo. Ca me semblait un sujet un peu étroit. Et puis un écrivain que j'aime beaucoup, François de Cornière, avait écrit un texte là-dessus. Donc on est parfois un peu surpris de rencontrer la singularité des autres. Mais c'est vrai que le premier de tous ces textes, c'était un texte sur le fait de mouiller ses espadrilles dans La première gorgée de bière. Et ça aussi c'est excitant de prendre des choses qui n'ont pas l'air littéraire à priori et d'essayer de les faire devenir un peu littéraire.

Philippe Chauveau

Alors volontairement, j'ai cité deux de vos romans. Et puis après j'ai rappelé que effectivement, le grand public vous connait aussi pour ces instantanés de vie que vous nous proposez. Dans Les eaux troubles du mojito, vous avez sous-titre autres belles raisons d'habiter sur terre. Ce livre est résolument positif. Il y a certains textes courts qui sont plus difficiles que d'autres, notamment dans cette maison où des personnages âgées sont atteintes d'Alzheimer. Mais finalement, ce sont des petites histoires qui donnent envie d'avancer dans la vie.

Philippe Delerm

Oui, c'est vrai. J'ai beaucoup privilégié aussi la lumière dans ces textes. Il y a beaucoup de textes d'été, de lumière d'été. Comme vous dites, il y a aussi des choses plus dures parce qu'il se trouve que j'ai 64 ans, je suis un petit peu à cheval sur pas mal de générations dans la vie, que d'un côté je m'occupe de mes petits enfants, et que c'est une façon très roborative d'être présent dans l'existence, et je les évoque un petit peu dans le recueil, et j'évoque aussi des moments passés avec des personnes âgées qui sont tout-à-fait en fin de vie et que j'accompagne aussi. Mais malgré tout, ça déclenche un sentiment d'urgence du temps qui passe, d'être à cheval sur toutes ces générations bien sûr. Et un petit peu de recul aussi puisque je ne suis plus enseignant et que j'ai davantage de temps de regarder le spectacle et d'avoir cette sensation du temps qui coule. Mais c'est vrai que fondamentalement, il y a aussi le sentiment que c'est une façon d'être privilégié comme ça, dans l'existence. D'autant plus que je pense avoir la faculté de saisir la sensualité des choses aussi, d'essayer de les arrêter, et cette espèce de sentiment curieux que malgré cette presque possibilité de les arrêter parfois, je dois bien reconnaître qu'elles sont aussi très fortement menacées, et puis souvent aussi qu'elles vont chercher des choses dans l'intensité de l'enfance. Quand par exemple j'ai choisi comme titre le mojito, le fait de s'abîmer dans un verre de mojito, pour moi c'est assez proche de choses que je pouvais faire quand j'étais enfant, de contempler par exemple à la fin d'un petit déjeuner un pot de gelée de groseille et puis d'imaginer que je glissais dans des espèces de glaciers rouge à la surface du pot de gelée de groseille, c'est un pouvoir d'enfance que j'ai essayé de préserver.

Philippe Chauveau

Lorsque vous écrivez ces textes courts, moi je traduis ça des instantanés de vie, pensez-vous déjà au lecteur à qui vous allez offrir ces textes courts, ou finalement, les écrivez-vous aussi pour vous-même pour garder intact l'instant ?

Philippe Delerm

Il se trouve que l'écho de ces textes, évidemment, ce serait hypocrite de ne pas le reconnaître, fait que les gens m'ont souvent dit, ce que j'aime bien c'est que vous parlez de ce que je n'aurais pas su dire. Et je crois que le plus beau compliment que l'on m'ait fait sur ce premier recueil, la première gorgée de bière, c'est la première émission aussi que j'ai faite avec Bernard Pivot, ça faisait 20 ans que j'attendais ça, je me souviens très bien de ce soir là, parce que j'avais cours jusqu'à 5h et puis j'étais venu en voiture jusqu'à Paris. Et avec vraiment le sentiment que ma vie allait peut-être changer. Et ça a été le cas. Et il y a eu l'un des invités sur le plateau que l'on vous fait rencontrer avant qui, au lieu de me saluer normalement, m'a dit « ah le salaud ! » et j'ai trouvé que c'était vraiment le plus beau compliment que l'on m'ait jamais fait sur ce livre parce que je pense que « ah le salaud » ça voulait dire « ah, c'est juste ce que j'aurais voulu écrire ».

Philippe Chauveau

Quel est le compliment, la plus belle remarque qu'un lecteur ou un lectrice vous ait faite ?

Philippe Delerm

Il y a une réflexion d'un critique, un chroniqueur d'une émission de France Inter qui m'avait accueilli en faisant un petit chapeau de présentation sur moi qui avait dit : on a tous baigné dans la rivière de l'enfance, mais Philippe Derlerm lui y est resté mouillé. Si on a envie d'être sympa avec moi, je trouve que c'est assez juste.

Philippe Chauveau

Philipp Delerm, Les eaux troubles du mojito, et autres belles raisons d'habiter sur terre. Vous êtes publié aux éditions du Seuil. Merci beaucoup.

Philippe Delerm

Merci à vous.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • En 1997, avec " La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ", Philippe Delerm connaissait un succès de librairie phénoménal. Avec ce recueil de textes courts, l'auteur nous donnait à lire les petits bonheurs du quotidien. Ce succès était aussi la récompense de la patience de Philippe Delerm qui avait écrit pendant 10 ans avant d'être enfin publié. Dans la famille Delerm, on aime jouer avec les mots, toutes générations confondues. Les parents de l'auteur étaient enseignants et apprenaient à lire et à...Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau Bonjour Philippe Delerm. Philippe Delerm Bonjour. Philippe Chauveau Votre actualité aux éditions du Seuil, Les eaux troubles du mojito. Avez-vous des fois l'envie de regarder en arrière, lorsque vous pensez à vos premiers livres, vos premiers essais d'écriture. Est-ce qu'il y a une petite nostalgie de ce temps enfui ? Philippe Delerm Oui bien sûr. Ca fait partie de mon rapport à la vie d'arriver à me souvenir assez facilement notamment aussi des tristesses, puisque pendant très longtemps, je n'ai pas...Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau Philippe Delerm, on vous a connu comme romancier. Il y avait eu Sundborn ou les jours de lumières, plus récemment, Elle marchait sur un fil. Mais c'est vrai que lorsque l'on cite votre nom, Philippe Delerm, instinctivement vient La première gorgée de bière, viennent ces textes courts. Est-ce qu'il y a une définition sur cette écriture. Est-ce que c'est un genre à part entière, est-ce que ce sont des mini-nouvelles ? Comment traduisez-vous votre travail ? Philippe Delerm Il n'y a pas de terme. Je le regrette...Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Livre - Suite