Didier Decoin

Didier Decoin

Le bureau des jardins et des étangs

Livre 6'02

Livre

Avec ce nouveau titre, Didier Decoin, « Le bureau des jardins et des étangs », vous allez nous emmener au Japon. On sait que vous adorez les Etats-Unis. On connaissait peut-être moins votre passion aussi du Japon. Et là, c’est le Japon du XIème, XIIème siècle que vous nous présentez, avec ce portrait de femme. C’est Miyuki qui est l’héroïne de votre roman. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’entraîner le lecteur dans ce Japon du XIème, XII ème siècle ? Un livre pour lequel vous avez mis plus de dix ans à travailler dessus.

Oui, parce que c’est compliqué comme ce n’est pas à la même époque que la nôtre, que ce n’est pas les mêmes lieux, les mêmes us et coutumes, que tout est différent, la documentation est très compliquée. Chaque fois que l’on dit « elle s’arrêta pour se coucher », sur quoi on se couchait à l’époque ? Des futons ? Oui mais quel type de futon ? Donc c’était compliqué à documenter et à écrire. Mais je suis tombé amoureux de ce moment du Japon, qui est l’époque Heian, époque du plus grand raffinement dans l’histoire non seulement du Japon, mais quelque part je pense peut-être de l’humanité. Le Versailles de Louis XIV à côté, c’est l’auge des cochons. Ils faisaient des concours de poésie. On se mesurait à la poésie. Des concours de parfum.

Le raffinement extrême.

Mais paroxystique ! Il n’y avait pas de prison. Il n’y avait pas de condamnation à mort parce que le bouddhisme interdisait qu’on touche ne serait-ce qu’un moustique. On n’allait pas couper la tête d’un criminel. D’ailleurs, y avait-il des criminels ? Ce n’était pas très très sûr. Il y avait des gens qui blasphémaient contre l’empereur… C’est une période qui m’a fasciné. En plus, je crois et je ne suis pas le seul, que c’est le moment où des femmes ont inventé la littérature romanesque moderne, c’est-à-dire celle qui se pratique aujourd’hui.

Alors ce qui est passionnant, c’est que vous nous prenez par la main, et vous nous emmenez dans ce Japon du XIème, XIIème siècle. On rencontre donc Miyuki, cette jeune femme qui vit dans un petit village, très pauvre, au fin fond du Japon. Son mari, Katsuro, a une mission bien précise. Il doit pêcher les plus belles carpes qui iront orner les étangs sacrés de l’empereur, et puis un jour, Katsuro se noie, et Miyuki va devoir reprendre le flambeau en quelque sorte, et elle va partir sur les routes du Japon avec deux nacelles dans lesquelles sont les huit carpes qu’elle doit présenter à l’empereur. C’est une sorte de roman picaresque, parce qu’elle va faire un grand voyage, elle va faire de nombreuses rencontres, pas toujours heureuses. Mais c’est surtout un très beau portrait de femme que vous nous présentez.

C’est une fille. Elle a 27 ans. Alors, pour l’époque, c’est quasiment le mitan de sa vie. Elle n’en a même pas encore autant à vivre. Mais ça reste très jeune 27 ans. Et elle va accomplir un voyage qui est fou en fait. 400 kms. C’est pas rien. 400 kms sur des sentiers qui sont ravinés, qui sont boueux, et elle a ses nacelles, c’est-à-dire qu’elle a une perche en bambou, qu’elle met tantôt là, tantôt là derrière, et à chaque fois qu’elle marche, le bambou glisse sur elle, et le bambou a des noeuds. Et à chaque fois, le bambou l’écorche, la blesse, lui provoque des hématomes. Et quand elle va arriver après ces 400 kms de calvaire je dirais, quand elle va arriver à la capitale, à mon avis, elle est devenue une forte fille.

Nous sommes donc dans l’époque Héian, donc vous l’expliquiez, un raffinement extrême, des concours de poésie, et puis nous avons aussi à un moment un concours de parfum. Des fragrances, des odeurs sont présentes à pratiquement chaque page. C’est une réalité historique, cette importance pour le peuple japonais à l’époque ?

Oui, même encore aujourd’hui. On ne va pas rentrer dans les détails, ou alors il faut mettre interdit au moins de je ne sais quoi, mais l’odorat dans l’acte d’amour, surtout quand il est légèrement fantasmé peut-être un peu déviant, chez les japonais, l’odorat est extrêmement important. Alors moi, ça se voit, j’ai un gros nez, ça me sert à respirer, à renifler les choses, mais je n’ai pas d’odeur ennemie. Je veux dire par là que qu’on dit : « ça ne sent pas bon ». Moi je ne dis pas que ça ne sent pas bon, je dis, ça sent. Quoi, je ne sais pas, mais ça sent la vie. Quand vous entrez dans une étable pas très bien entretenue, jonchée de bouses de vaches, ça ne sent pas forcément très bon, ou le lisier du cochon, mais c’est la vie. Ce sont des êtres qui ont un coeur qui bat, qui ont un sang qui pulse, et ces odeurs là, moi, ne me répugnent pas du tout. Et l’odeur de l’être humain, surtout si c’est une femme, ne me révulsent pas. Quelle qu’elle soit. Donc j’ai eu plaisir à décrire ces odeurs.

Lorsque vous avez mis le point final à ce roman que vous portiez depuis une douzaine d’années, ça a été difficile de se séparer de Miyuki ? Elle continue de vous hanter ?

Je crois que je ne me suis pas séparé d’elle. D’abord parce que le livre, ça fait 2-3 mois qu’il vit, qu’il rencontre son lectorat. On m’en parle. Et chaque fois qu’on m’en parle, ça fait renaître Miyuki, certains épisodes de sa vie. Parce que, ce qui est merveilleux chez les lecteurs, c’est que chacun voit midi à sa porte, c’est-à-dire que ce n’est jamais la même séquence qui va faire que l’on va dire : « ah j’ai aimé cette page, j’ai aimé ce passage ». Ce n’est jamais le même. Moi, à chaque fois, ça me relance.

Miyuki vous accompagne.

Vous savez, pour écrire Miyuki, j’ai commencé par faire un casting extrêmement sévère. J’ai regardé à peu près toutes les actrices japonaises de l’âge de Miyuki, je regardais aussi les chinoises, les coréennes… Et puis j’ai tiré ces photos, et puis je les mettais devant moi, et quand j’ai trouvé enfin la jeune japonaise qui correspondait au physique que j’imaginais comme celui de Miyuki, elle était là pendant presque 12 ans. Tous les matins, je la retrouvais. Elle a grandi depuis. On est forcément un peu amoureux de son héroïne.

Un roman plein de poésie et de sensualité. C’est votre actualité, Didier Decoin, le bureau des jardins et des étangs. Vous êtes publié aux éditions Stock.

Merci beaucoup.

Merci à vous.




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