Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre

Couleurs de l'incendie

Livre 7'04"

Philippe Chauveau : Lorsqu’ « Au revoir là-haut » est sorti en 2013, vous aviez déjà laissé entendre qu'il y aurait sans doute une suite à cette histoire qui se passait dans l'immédiate après-guerre. La suite, la voici, en attendant peut-être encore un prochain opus, « Couleurs de l'incendie », c'est votre actualité chez Albin Michel. Nous sommes cette fois-ci en 1927, nous démarrons le roman avec une scène tout à fait étonnante, très cinématographique. Ce sont les obsèques de Marcel Péricourt, un moment très fort du roman. Et puis on va retrouver le personnage de Madeleine Péricourt. Curieusement, c'est une suite, certes, mais c'est un livre que l'on pourrait lire sans avoir lu « Au revoir là-haut », puisque le personnage central, Madeleine, n'était qu'un personnage secondaire dans la précédente histoire. Pourquoi avoir eu envie de vous intéresser, de vous attacher à Madeleine ?

Pierre Lemaitre : D'abord parce que c'est le seul personnage vivant qui restait de la famille Péricourt, qui avait été terriblement décimée dans « Au revoir là haut », donc il n'y avait pas beaucoup de candidats pour jouer le rôle du personnage principal ! La situation de Madeleine dans cette période là est très contradictoire et très contrastée, c'est une femme qui hérite d'un empire bancaire dans une période dans laquelle les femmes n'ont pas même le droit de signer un chèque donc il y avait là un paradoxe qui aurait fait plaisir à n'importe quel romancier.

Philippe Chauveau : Il y a dans ce roman, outre Madeleine, d'autres personnages féminins qui sont importants, c'est vrai que vous donnez la part belle aux femmes dans cette histoire, à une époque où les femmes n'avaient pas forcément le premier rôle.

Pierre Lemaitre : Ce n'est pas tellement un choix. Le choix, c'était Madeleine parce qu'elle proposait un contraste romanesque. Les autres sont arrivées sans que je le voie, parce que finalement Madeleine ouvrait la porte à une espèce d'auscultation du territoire féminin pendant cette période qui va suivre directement la Première guerre mondiale et qui devait laisser l'espoir aux femmes de trouver de la parité. Elles avaient payé le prix fort pendant cette première guerre et, au fond, elles étaient en droit d'espérer une revalorisation de leur statut, ce qui n'a évidemment pas été le cas. Donc, à travers ces femmes, cela me permet d'ausculter le territoire féminin de ces années 30.

Philippe Chauveau : Le roman s'ouvre sur les obsèques de Marcel Péricourt, sa fille Madeleine est à la tête d'une immense fortune mais des gens bien mal intentionnés autour d'elle vont se faire fort de la ruiner. Toute l'histoire c'est finalement : comment cette jeune femme va-t-elle réussir à se venger? En toile de fond il y aura toutes ces années 30 qui sont couvertes de scandales. Le thème de la vengeance était important dès le départ?

Pierre Lemaitre : Oui parce que j'avais décidé que pour ce livre là je ferai un hommage à la littérature du XIXe siècle et j'ai d'abord imprimé la première marque en empruntant à Alexandre Dumas la structure du « Comte de Monte-Cristo ». Première partie : la chute, seconde partie : la vengeance et la rédemption. Donc j'empruntais à mon maître Dumas cette ligne narrative qui était très ancienne, qui remontais à avant Dumas...

Philippe Chauveau : C'est aussi pour ça que des fois vous interpelez le lecteur? Pierre Lemaitre : Oui c'est aussi pour ça que j'interpelle les lecteurs, parce que vous vous rappelez, on avait tous plaisir à ces moments du feuilleton du XIXème où on faisait soudain une rupture : « le lecteur se souviendra sans doute que notre héros... ». Ce sont des moments très enthousiasment de notre passé de jeune lecteur. Philippe Chauveau : Cette peinture de cette époque, ces années 30 avec leurs scandales financiers, leurs scandales politiques que l'on retrouve dans l'histoire... Ce sont cela les couleurs de l'incendie? Cet incendie qui se prépare, qui s'annonce, avec le Second conflit mondial et qui prend sa genèse dans ses années 30.

Pierre Lemaitre : Au fond, ces années 30 sont baignées d'une sorte de menace qu'on arrête pas de reculer, on hésite devant l'obstacle, on ne sait pas très bien ce qu'on a à faire. C'est un monde qui se déconstruit et qui ne trouve pas la voie de sa reconstruction. En toile de fond, cet incendie qui se prépare dont nous connaissons, nous, l'issue mais dont les contemporains ne connaissaient pas l'issue, c'est évidemment quelque chose qui menace. On est au-dessus du volcan et on voit ces braises. C'est vrai que d'une certaine manière, la lecture est un peu biaisée par le fait que nous, lecteurs, savons ce qui va se passer, ce que ne sait pas le personnage de l'époque.

Philippe Chauveau : La Première guerre mondiale a marqué un chamboulement dans les différentes classes sociales de la société française. Pour Madeleine, c'est un peu la même chose. La ruine que provoque la mort de son père et la trahison de ses proches vont la faire tomber de son piédestal, elle va découvrir un monde qu'elle ne soupçonnait pas et côtoyer des gens qui ne faisaient pas partie de son univers. Vous aviez envie de ce frottement?

Pierre Lemaitre : Oui, j'avais envie de cette chute parce qu'il me semblait que c'était intéressant qu'au fond, ce qui se vit pour n'importe qui comme une catastrophe, être soudain ruiné quand on était très riche, ce déclassement doit être vécu comme une blessure terrible. Or, d'une certaine manière, c'est ce qui va sauver la vie de ce personnage et c'est ce qui m'a intéressé. Elle va être déniaisée par le monde, elle va découvrir ce qu'elle ne voyait que de sa fenêtre, c'est à dire les vrais gens, la vraie vie. Il m'a semblé qu'il y avait quelque chose d'intéressant dans le fait que cette chute qui est une catastrophe va être la grande chance de sa vie.

Philippe Chauveau : Vous nous aviez confié qu'après « Au revoir là-haut », il y aurait sans doute deux autres titres, voilà le deuxième. Vous restez encore sur l'idée de nous proposer une suite?

Pierre Lemaitre : Oui, je pense que maintenant le projet littéraire est abouti. Ce serait une trilogie de l'entre-deux-guerres : Les années 20 avec « Au revoir là-haut », les années 30 avec « Couleurs de l'incendie », les années 40 pour le prochain titre dans un an ou deux. On aura ainsi une trilogie qui commencera à la fin de la Première guerre et qui s'achèvera au seuil de la seconde. Cela balayera l'entre-deux-guerres vu par un romancier qui va chercher dans l'histoire les côtés faibles, prendre l'Histoire par un côté inattendu, mais qui va brosser une modeste peinture de cette période.

Philippe Chauveau : Vous avez avoué votre attachement à Alexandre Dumas, c'est un roman très dense avec une belle galerie de personnages, beaucoup de rebondissements, des choses tout à fait inattendues. Vous êtes un conteur ? Un raconteur d'histoire?

Pierre Lemaitre : Mon travail consiste à raconter des histoires mais à me soucier aussi de ce que veulent dire les histoires que je raconte. Je laisse le soin au lecteur de tirer la morale de ces histoires. Cette morale peut être différente de la mienne. Je pense qu'il faut laisser l'espace nécessaire pour se faire son idée et juger les personnages et l'Histoire. Mais moi, mon boulot c'est d'être un conteur, un raconteur, en d'autres termes, je suis un romancier.

Philippe Chauveau : Pierre Lemaitre, votre actualité, « Couleurs de l'incendie », vous êtes publié chez Albin Michel. Merci beaucoup

Pierre Lemaitre : Merci à vous.

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  • LIVRE
  • Né à Paris en 1951, Pierre Lemaître s’est longtemps consacré à l’enseignement de la littérature avant d’écrire lui-même. Grand amateur de roman noir, avec une prédilection pour les auteurs anglo-saxons tels Easton Ellis ou James Ellroy, c’est à ce genre littéraire qu’il s’essaie en 2006 avec « Travail soigné ». Le succès est au rendez-vous et Pierre Lemaître confirme son talent avec « Robe de mariée », « Alex » ou « Cadres noirs» dans lesquels on retrouve une écriture ciselée et une intrigue...Couleurs de l'incendie de Pierre Lemaitre - Présentation - Suite
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